Pourquoi écrire : La résilience narrative, par Boris Cyrulnik [À lire]

Synthèse détaillée de la formation de Boris Cyrulnik, psychiatre, disponible sur le site web de formationspsy (H4 Éditions, partenaire de : Éducation & Famille - Université de Mons)

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[Extrait de la synthèse]

Pourquoi la Résilience Narrative ?

Boris Cyrulnik commence en remerciant pour l'occasion de parler de la résilience narrative et introduit le terme en expliquant l'importance de la suppression de ces deux mots. La résilience, selon lui, est la capacité de reprendre un nouveau développement après un traumatisme, tandis que le terme "narrative" souligne le pouvoir de la parole, qu’elle soit parlée ou écrite, pour remanier la perception du passé. En utilisant la parole, les individus ont la possibilité de ne plus être prisonniers de leurs souvenirs douloureux, comme c'est souvent le cas pour ceux qui souffrent de dépression ou de syndrome psychotraumatique. Pour Cyrulnik, la guérison ne vient pas seulement de l'énonciation mais du travail de réflexion, de rature et de répétition, tout comme un entraînement physique modifie le muscle par la répétition des gestes.

Le Récit de Soi : De la Rumination à la Résilience

Boris Cyrulnik distingue plusieurs types de récits de soi. Lorsqu'une personne rumine seule, elle se retrouve souvent enfermée dans un cycle de répétition qui peut mener à la dépression ou au syndrome psychotraumatique. En revanche, partager son récit avec autrui exige un travail de sélection et de clarification des mots, qui déclenche un processus de résilience. Il souligne aussi l'importance du contexte culturel : si le récit personnel est en adéquation avec le récit collectif, il est mieux reçu et peut ainsi renforcer le sentiment de soutien et de compréhension. Cette congruence culturelle aide à modifier la représentation du passé.

La Résilience Préverbale chez le Bébé

Cyrulnik évoque également une forme de résilience qui se développe avant même l'acquisition de la parole, particulièrement chez le bébé. Il souligne la rapidité de développement du cerveau à cet âge, qui établit des connexions neuronales en réponse aux expériences et au contexte. Lorsqu'un bébé ressent de l'angoisse, un simple contact physique ou des paroles rassurantes peuvent rétablir un état de calme visible en neuro-imagerie. Cependant, si l’on laisse un bébé seul trop longtemps, cela peut engendrer des troubles durables. Il insiste sur la fragilité et la réceptivité du cerveau du bébé, qui mémorise des événements sans forcément en garder de souvenirs conscients.

La Mémoire Sans Souvenir et les Faux Souvenirs

La notion de "mémoire sans souvenir" est également abordée par Cyrulnik. Certains événements de la petite enfance laissent des traces neurologiques sans être explicitement mémorisés, ce qui rend impossible le récit conscient de ces souvenirs. Cela peut mener à des faux souvenirs : des récits verbaux qui expriment des sentiments authentiques, mais qui ne sont pas nécessairement des reflets précis des faits vécus. Cyrulnik explique avoir lui-même mené des recherches sur ses souvenirs, confirmant la facilité avec laquelle ces souvenirs se construisent sans intention de tromperie.

La Construction de l'Identité Narrative et la Résilience

Enfin, Cyrulnik met en lumière l'importance de se raconter, de transformer ses expériences en un récit qui forge l’identité narrative. Les personnes résilientes sont celles qui peuvent se définir à travers les traumatismes qu'elles ont traversés et surmontés. Cette capacité à se construire un récit autour de l’épreuve permet d’accéder à une forme de résilience. Pour lui, la résilience découle de nombreux facteurs – génétiques, biologiques, neurologiques, affectifs, psychologiques et socioculturels – et requiert une approche pluridisciplinaire pour en saisir pleinement les mécanismes.

Devenir Sujet de Sa Mémoire à Travers le Récit

Boris Cyrulnik explique que l’on devient véritablement sujet de sa mémoire au moment où l’on est capable de raconter ce qui nous est arrivé. Jusqu’à environ 6-8 ans, notre mémoire reste sous l’influence directe de notre environnement et des événements vécus, ce qui nous façonne et nous marque. Cependant, à partir du moment où l’on peut en faire un récit, on commence à maîtriser et à remodeler cette mémoire. On peut choisir de la transformer en roman, en autobiographie ou en témoignage, selon le besoin de se venger, de rétablir la vérité, ou d’exprimer son vécu de façon distanciée. En écrivant ou en parlant de notre histoire, on remanie la représentation de ce qui s’est passé, en trahissant légèrement le réel, mais en gagnant en maîtrise.

Les Différents Aspects du Cerveau Traumatisé

Selon Cyrulnik, au moment du trauma, le cerveau est « K.O. debout » et cesse de traiter les informations normalement. Lorsqu’un cerveau est en bonne santé, on observe différentes zones qui consomment de l’énergie, identifiées par des variations de couleur lors des scans cérébraux. Ainsi, parler ou se souvenir active différentes parties du cerveau, mais un traumatisme entraîne une déconnexion. Ce type de dissociation laisse des traces profondes et entraîne un verrouillage de certaines zones, ce qui conduit souvent à une rumination persistante et à un sentiment d’impuissance.

L’Expérience de Denis Hoffer sur la Mémoire et le Remaniement des Souvenirs

Cyrulnik partage l’expérience de Denis Hoffer, psychosociologue, qui a interrogé des adolescents de 14 ans sur divers aspects de leur vie et les a réinterrogés 34 ans plus tard, à 48 ans. Les réponses obtenues différaient grandement, illustrant comment la représentation du passé évolue avec le temps. Par exemple, des souvenirs d’ennui à l’école ou de popularité étaient interprétés différemment après plusieurs décennies. Cet écart montre comment les souvenirs peuvent être remaniés, souvent inconsciemment, pour s’adapter aux perceptions et aux besoins actuels.

La Représentation Subjective du Passé

Dans son propre livre, La vie t'appelle, Cyrulnik a observé que les souvenirs personnels et les perceptions des autres peuvent diverger considérablement. En comparant les souvenirs d’événements vécus avec d’autres personnes, il a constaté des différences frappantes. Cela illustre le caractère subjectif et changeant de la mémoire. La mémoire traumatique, selon lui, comprend deux aspects : une mémoire précise et imprégnée des détails du traumatisme et une mémoire floue. C’est dans ce flou que se trouvent des opportunités de travail thérapeutique, car il est possible de remanier la représentation de ces souvenirs pour alléger le poids du trauma.

La Mémoire Évolutive et l’Erreur Sincère

Enfin, Cyrulnik met en avant la nature évolutive de la mémoire, qui change en fonction de notre âge, de nos émotions, et du contexte socioculturel. Avec le temps, les souvenirs se transforment et peuvent même être oubliés ou remaniés inconsciemment. Cette malléabilité explique la possibilité de la psychothérapie et d’une amélioration psychologique. Il en résulte aussi des erreurs sincères : deux personnes peuvent se rappeler différemment d’un même événement, non par mauvaise foi, mais parce que leurs mémoires respectives ont évolué différemment. C’est pourquoi les souvenirs partagés en famille ou entre amis peuvent souvent donner lieu à des disputes légères, illustrant la subjectivité inhérente à la mémoire.

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