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Article

Quelle place pour le psychologue aux Urgences générales ?

JIDV 2 (Tome 1, numéro 2 - Janvier 2003) 

Auteure

Psychologue – Victimologue  
Doctorante en « Médecine scientifique, Psychopathologie, Psychanalyse » (Paris VII)
Le Cabinet Associatif
17, rue Bernard Gante - 93250 Villemomble
tél : 01. 48. 54. 92. 11.

Résumé

A la question de la prise en compte des répercussions psychologiques des atteintes somatiques, une récente circulaire1répond par la mise en place de postes de psychologues au sein des services d’accueil d’urgence (SAU). Cette initiative fait s’interroger les psychologues sur les modalités, encore vagues, de leurs interventions. Les objectifs évoqués par cette circulaire sont cependant précis : 1- repérer et accueillir précocement la détresse psychologique (du patient et de sa famille) consécutive à un traumatisme, afin d’en limiter les effets à long terme, 2- organiser, dans la perspective d’une collaboration multidisciplinaire, une orientation et un suivi adapté vers des structures spécifiques (associations d’aide aux victimes – services psychiatriques, psychothérapeutes libéraux…). L’exposé se propose de rendre compte de l’expérience d’un psychologue sur ce terrain.

Mots-clés

Psychologue – Urgences – Mémoire – victimologie 

 

Quels objectifs? 

L

es revendications régulières du personnel des urgences, dépassé par la hausse de la fréquentation du service, s’articulent autour de la notion « d’humanisation des soins». De la célèbre devise « un pour tous, tous pour un »,le personnel soignant voudrait pouvoir oublier la première moitié, réalité semble-t-il peu adaptée à la prise en charge globale du patient. Le « tous pour un » permettrait d’éviter plus certainement la dommageable réduction de l’individu à ses dysfonctionnements organiques. 

Les interventions du psychologue ne se substituent aucunement à celles de l’équipe psychiatrique qui intervient en effet, de façon orientée vers la prise en charge de patients présentant des troubles psychopathologiques avérés. Les enjeux de la fonction de psychologue aux urgences se situent plutôt dans l’accueil de la détresse psychologique des victimes et de leurs proches, afin de prévenir l’impact potentiellement traumatique des préjudices subis, de quelque nature qu’ils soient. A mon sens, ces enjeux se situent aussi autour d’une compréhension différente de certains symptômes ou comportements auxquels la médecine seule ne peut répondre…

 

Sur le terrain: chronologie des liens

Pour une vision globale de la prise en charge des patients, nous nous référons, pour commencer, aux dossiers médicaux qui explicitent : leur nom, prénom, âge, leur motif de consultation et la présence ou non des accompagnants (famille, amis…).

Que ce soit dans le couloir ou dans les box de consultation, le premier contact avec le patient débute par notre présentation : « Bonjour Mr (nom), je m’appelle Marie-Lise Babonneau, je suis la psychologue du service et je viens prendre de vos nouvelles ». Cette formulation présente plusieurs avantages. D’abord, elle sécurise le patient en diminuant la menace d’intrusion psychique par le psychologue qui se propose ici de prendre soin et non de soigner et qui évite donc les « mais je ne suis pas fou ! ». Ensuite, elle personnalise l’écoute, d’où l’importance de s’adresser au patient par son nom de famille, qui lui signifie qu’il n’est pas perdu dans une masse informe. Enfin, elle humanise la prise en charge en proposant un espace d’élaboration du vécu subjectif : elle contrebalance ainsi les codifications de l’exploration médicale qui objectalise le patient (réduit parfois à ses symptômes).

Dans le box, patient et psychologue se trouvent face-à-face : le box est l’espace le plus propice à instaurer  l’intimité, qui optimise les fonctions des rencontres, à savoir, consacrer du temps au discours du malade, respecter son propre rythme.

En ce qui concerne la structure interne des rencontres : un premier temps est consacré à ce qui est (détresse, douleur, colère…). C’est une étape d’accueil de la parole, de verbalisation du ressenti . Mettre en mots l’angoisse brute permet au patient de se réapproprier ses propres facultés de contenance malgré ses sensations profondes d’être débordé, et de réintégrer le monde des Hommes dont il s’est senti brutalement exclu. Un second temps consiste à retourner doucement vers ce qui a été (histoire de la douleur, de la présence aux urgences, souvenirs…). L’objectif est de replacer l’état de crise dans un contexte temporel plus large, pour qu’il ne devienne pas LE point de repère mais UNE étape parmi d’autres. Relevons ici la fréquence du syndrome d’anniversaire2 : des patients retrouvent spontanément que leur présence aux urgences correspond justement à une daterelative à un événement antérieur déstabilisant (voir : « petites histoires » de travail d’équipe ).

Après le passage des médecins et l’annonce des résultats, le dernier temps est un temps de bilan : Lorsque les résultats révèlent une pathologie précise, le patient peut mettre en mots l’angoisse qu’elle déclenche. Le psychologue peut mettre d’autre part en évidence les ressources (psychologiques, matérielles, sociales, affectives…) que le patient pourra mobiliser pour négocier au mieux les changements induits par l’évènement (immobilisation, hospitalisation…). Envisager et préparer un« après… », parfois impensable, c’est se réinscrire dans une temporalité mobile, loin de l’état de crise qui la suspend ou l’éternise. Lorsque les résultats ne décèlent aucune anomalie organique, l’inquiétude du patient croît : savoir le grave semble souvent moins terrifiant que de ne pas savoir du tout. Le patient s’interroge alors avec le psychologue sur le sens de l’événement ou sur une possible origine psychologique du désordre organique ressenti.

Enfin, dans ces moments « limites », il est nécessaire de « dire au revoir », puisqu’un passage sans achèvement consentide la relation ajouterait sûrement au sentiment de rupture déjà présent. L’ordonnance du médecin à la main, l’au revoir du psychologue au moment du départ, autant d’éléments qui signifient au patient le respect de son unité, même sans intégrité. 

Et l’entourage ? 

L’entourage proche peut faire partie des éléments perturbateurs pour le personnel soignant. 

En effet, souffrant de ne pas avoir de référent à interroger, il interpelle parfois violemment toutes les « blouses blanches » qu’il croise : le psychologue peut être ce « quelqu’un » à qui se référer, au moins en ce qui concerne l’avancée de la prise en charge.

Il souffre aussi de la rupture affective et d’un sentiment profond d’impuissance : le rétablissement du lien avec le patient (transmission de messages, rencontres facilitées) est aussi un axe important de l’intervention du psychologue concernant l’entourage.

Il souffre : le psychologue peut proposer de le rencontrer, afin d’élaborer les difficultés induites par l’annonce d’un événement déstabilisant.

«Petits repères techniques»  

 

Les « signes extérieurs de sécurité » 

Pour extraire de l’urgence un peu de ce temps et de ce calme qui font cruellement défaut, le non-verbal a toute sa place « thérapeutique ». Stabiliser : s’asseoir au chevet du malade ou dans la salle d’attente avec les familles, est un signe d’installation, de durée. La dimension temporelle, ainsi réintroduite dans la relation, compense l’état ambiant d’agitation et la mobilité permanente du personnel médical toujours en action.  Contenir : dans le couloir, se pencher sur le patient pour lui créer un espace contenant qui contrebalance son sentiment d’éparpillement au milieu des autres. Reposer : les mouvements du corps et le débit des mots se font plus lents, l’intensité de la voix plus calme. 

L'entre-deux

La blouse blanche ouverte, à mi-chemin entre les uniformes fermés du personnel médical et le vêtement civil, signifie notre position d’entre-deux : entre notre appartenance au large domaine des soins et notre distinction des soins purement médicaux.

Un repère 

Un point de repère temporel : la présence et la constance du psychologue, qui passe voir le  patient à plusieurs reprises, rétablissent une certaine continuité du sentiment d’existence du patient que l’imprévu et la multiplicité des intervenants ont bousculé.

Le référent des soins psychiques : le psychologue participe au rétablissement du sentiment d’unité et de singularité,  en se joignant à l’équipe médicale qui se préoccupe en priorité des soins corporels.

Les impairs

Accompagner le patient les premières phases d’étayage et d’attachement sont nécessaires au patient pour retrouver ses repères, sa confiance en « l’extérieur ». Mais y rester fixé, assister le patient, entrave son rétablissement et son autonomie ultérieurs. Il s’agit donc d’avoir confiance en les ressources du patient qui doit être aussi « libéré du soignant » pour sortir de son statut de victime. Il faut donc rester attentif aux signes qui pourraient évoquer une dépendance et qui déboucheraient à nouveau, au moment de la séparation, sur un nouveau sentiment d’abandon. 

Un cadre bien différent d’une psychothérapie : certains patients vident d’emblée tous les poids de leur histoire, dont il cherche un nouveau réceptacle en la personne du psychologue. Si cette hémorragie psychique ne s’atténue pas après avoir été signalée au patient, il est possible de l’orienter vers une consultation psychothérapique.

L’épuisement professionnel : si le respect d’une juste distance semble indispensable au rétablissement du patient, il ne l’est pas moins pour la santé et l’efficacité du psychologue, qui risque de s’épuiser, « à s’attacher démesurément ».

Résister à la précipitation qui imprègne insidieusement les interventions psychologiques.

«Petites histoires» de travail d’équipe

Les situations cliniques qui suivent illustrent quelques fonctions possibles du psychologue aux urgences en étroite collaboration avec l’équipe médicale. 

Une complémentarité des observations cliniques pour éviter de tragiques « inaperçus » (dépression grave, PTSD…) : Un homme d’une quarantaine d’année est amené aux urgences par les pompiers à la suite d’un grave accident de la route. Seul impliqué, il a heurté violemment un arbre. Les séquelles organiques sont étonnamment légères et le patient est si discret sur son brancard qu’on pourrait presque l’oublier. Lorsque je le visite dans une des salles d’examens, il fixe le plafond, étrangement calme. Je reste à ses côtés, à l’observer un moment dans ce silence qui m’interpelle. Quelques  minutes plus tard, il sursaute effrayé et se met à pleurer. Il me fera part alors de souvenirs douloureux : ancien pompier, il a démissionné il y a huit ans à la suite d’un incendie dont il n’a pas pu sauver l’enfant d’un ami cher. Depuis, des troubles du sommeil (cauchemars répétés) et de l’humeur (tristesse profonde) l’ont progressivement conduit au repli, jusqu’à la désocialisation. Il est au chômage, séparé de sa femme et me laisse entendre qu’il ne tient pas à vivre. Je fais part au médecin de la détresse psychologique du patient qui m’a confirmé par ailleurs que son accident n’en était pas un. Il sera rapidement orienté vers une prise en charge psychothérapique et médicamenteuse d’une dépression profonde (névrose traumatique ?), qui aurait pu passer inaperçue dans le contexte d’une prise en charge purement médicale aux urgences. 

L’exemple qui suit, moins spectaculaire, reste toutefois saisissant par sa fréquence. Les défaillances sensorielles et motrices sont traditionnellement incriminées dans les chutes répétées de la personne âgée. Pourtant, considérer la situation d’un patient dans sa globalité ouvre la voie à d’autres origines, peut-être moins passives, de ces « accidents ». 

    Lorsque je demande à cette femme très âgée de m’expliquer sa chute dans l’escalier, c’est son fils qui répond précipitamment : « elle est encore tombée ! c’est à croire qu’elle le fait exprès pour nous embêter ». Lorsque, enfin seules, je l’entend parler de ses nombreuses chutes, son récit me fait lui dire : « mais vous auriez pu vous tuer », ce à quoi elle répond presque imperceptiblement : «  c’est pas faute d’avoir essayé ». L’entretien mettra nettement en évidence sa détresse psychologique due à son sentiment persistant de rejet de la part de son fils chez lequel elle loge faute de moyens financiers. Sans évoquer clairement un risque de maltraitance, je souligne au médecin l’état dépressif et potentiellement suicidaire de la patiente qui nécessiterait une évaluation et une prise en charge psychologique approfondies. Ce à quoi le médecin donnera suite lors de l’hospitalisation pour fractures multiples. 

Une écoute du « discours silencieux des symptômes » lorsque les résultats ne mettent a priori aucune anomalie en évidence (manifestation psychosomatique, conversion hystérique, maltraitance…) : Un jeune homme se présente spontanément aux urgences pour vomissements accompagnés de sang. Très agité, il réclame bruyamment un médecin et perturbe le travail de l’équipe qui m’invite à le voir rapidement. Depuis plusieurs mois, il vient fréquemment aux urgences pour les mêmes symptômes auxquels des examens médicaux répétés et approfondis ne trouvent aucune origine organique, ce qui a pour effet de le rendre chaque fois plus agressif à l’égard du personnel soignant qu’il qualifie « d’incompétent ». Installé dans une des salles de soins, nous abordons ensemble les raisons de sa venue. Notre entretien lui permet de parler de ses angoisses envahissantes concernant un cancer de l’estomac.  Il me raconte alors plus calmement que son grand père paternel, puis son père, sont tous deux décédés d’un cancer de l’estomac et qu’il craint d’être « le prochain sur la liste ». Il rapporte le souvenir du matin où il a découvert son père inanimé devant la cuvette des toilettes éclaboussée de sang, comme ce qu’il a cru voir le matin même chez lui.  En l’interrogeant sur la période à laquelle ses vomissements ont débuté, il retrouve, stupéfait, le jour de ses 42 ans, âge auquel sont précisément décédés ses deux ascendants (syndrome d’anniversaire)2. Son désir de compréhension de cette inscription inconsciente dans la lignée des décès répétés me conduit à lui suggérer de consulter un psychologue pour approfondir ce dont il vient de prendre conscience.  Il adhère à cette proposition et repart soulagé. Le service des urgences ne l’a plus revu. 

La simple évocation de l’angoisse de répétition suffit parfois à diminuer voire à faire disparaître les symptômes, ce qui limite les investigations médicales répétées. C’est à cet endroit que se manifestent donc clairement les liens entre psychique et somatique, et le pouvoir de la verbalisation sur la santé. Des liens qu’il faut cependant faire avec prudence : les internes de garde font appel à moi une nuit tandis qu’une luxation de la mâchoire s’avère irréductible chez une jeune fille par ailleurs très anxieuse. Ils suspectent alors une conversion hystérique qu’ils me demandent de confirmer. L’entrevue avec la patiente et son compagnon me fait à mon tour suspecter… une réelle luxation, ce dont je fais part à mes collègues, précisant que l’anxiété de la patiente était due, à priori, à sa situation quelque peu extraordinaire. La radio confirmera une double luxation qui nécessitera une intervention chirurgicale. Anecdote qui permettra de discuter dans le service de la propension à conclure à une causalité psychique devant l’impuissance médicale.

Une aide à l’orientation (consultation psychologique spécialisée, signalement ou dépôt de plainte…) : Une femme de couleur d’une quarantaine d’années est amenée par les pompiers qui me font part de leurs observations : la patiente, renversée sur la voie publique, reste prostrée, comme momifiée. Je rencontre la patiente que je trouve dans l’état décrit de sidération. Malgré son silence, je prends le temps, assise à ses côtés, de penser à voix haute au sujet de ce que j’imagine qu’elle ressent en ces instants de choc. Temps fécond de paroles puisque, touchée par l’attention que je lui porte, elle se met à me livrer le poids d’un premier traumatisme datant d’une dizaine d’années : poussée brusquement sur la voie ferrée à l’arrivée d’un train, par un homme qui tenait des propos racistes, elle garde un handicap moteur qu’elle tient pour responsable de son divorce et de la perte de son emploi. A la suite de cette agression dont l’auteur n’a pas été retrouvé, elle s’est progressivement enfermée dans son appartement dont elle laisse les volets fermés, phobique d’une rencontre avec l’agresseur. « Cette fois encore on a voulu me tuer » me confie-t-elle épuisée. Je fais part au médecin de la fragilité de la patiente  qui nécessite une prise en charge spécifique des séquelles psychologiques de la première agression, que le récent accident risque de renforcer. Il est donc décidé de la transférer dans un service de psychiatrie spécialisé dans le soin des traumatismes (Hôpital Ste-Anne) et de la mettre en contact avec une association d’aide aux victimes. 

Une assistance lors de certaines interventions médicales (chirurgie légère ...) : A la suite d’une agression, un adolescent présente une plaie profonde à la main qui nécessite un geste chirurgical, soin auquel il s’oppose violemment. Il bouscule certains soignants qui me demandent d’intervenir. Je reste seule avec le garçon qui ne tarde pas à reconnaître sa terreur des aiguilles. La mise en mots de ses angoisses et de la colère à l’endroit de l’agresseur, lui permet finalement d’adhérer calmement aux soins. Je reste à ses côtés le temps de l’intervention, facilitée à l’évidence par sa coopération.

Une aide à l’annonce de diagnostics (pour le patient, son entourage ET pour le médecin parfois démuni…) : Il arrive parfois en effet que le sentiment de solitude et la demande de soutien émanent tout autant des patients que de leurs soignants. Un interne de garde se voit obliger d’annoncer à une femme que sa fille, malgré tous les efforts fournis par l’équipe à la réanimer, est décédée à la suite d’un grave accident de voiture. Il vient me demander de l’assister dans cette tâche qu’il ne se sent pas d’assumer seul. Nous parlons de sa crainte de « ne pas trouver les bons mots ». Je lui suggère simplement de ne pas se dérober aux multiples questionnements de la mère, dans ses tentatives désespérées de savoir et de comprendre. Le temps que lui consacre finalement le médecin en explications apaise cette mère qui se tourne alors vers moi et me dit « ne me laissez pas seule ». L’accueil de la détresse psychologique de cette femme au prise avec l’effroi d’une rupture définitive permettra de contenir l’état de confusion émotionnelle et son sentiment profond d’abandon. Le relais soutenant sera pris par ses proches avant même son départ de l’hôpital.

Une intervention en cas d’opposition aux soins, d’inobservance du traitement, de fugue (refus d’opération, d’hospitalisation, etc.) : Un autre exemple de collaboration réussie entre médecin et psychologue aux urgences concerne une jeune femme à laquelle il est annoncé, pour la quatrième fois, un pneumothorax, qui la met en danger à court terme. Le médecin, devant le refus massif de la patiente d’être soignée, et son départ imminent, me fait appeler. Il m’explicite l’état des poumons devant la patiente, ce à quoi cette dernière rétorque : « c’est pas mes poumons qui décident ! ». Elle évoque progressivement les hospitalisations qui ont entravé l’obtention de diplômes et les opérations dont les séquelles physiques la freinent dans ses relations amoureuses. J’entends alors son ultime tentative de récupérer, autant la parole que son corps semble monopoliser, qu’un peu de cette identité que le discours médical tend parfois à morceler. L’exaspération cèdera rapidement la place à un profond désarroi, dont l’écoute et la reconnaissance par le corps médical lui permettront d’accepter une nouvelle hospitalisation. 

Une autre lecture de l’agressivité (violence verbale, physique) : Aux appréhensions concernant le diagnostic et les modalités de prise en charge s’ajoute l’incompréhension d’une attente éprouvante et pour le moins paradoxale qui exacerbe la détresse des patients et de leurs proches. Latente à l’arrivée, l’angoisse devient rapidement manifeste et par la même, contagieuse. De patients en impatients, de reproches en revendications, la tension monte et débouche sinon sur des agressions physiques, du moins sur cette violence verbale qui épuise le personnel soignant.  

    Un jour de grève du personnel des urgences et d’affluence de patients due aux conditions climatiques difficiles, un homme, accompagnant son fils blessé, fustige publiquement le fonctionnement hospitalier et attaque personnellement les infirmières. Il prend à partie d’autres patients entassés dans le couloir ; la situation devient rapidement incontrôlable. L’agitateur isolé, je lui justifie simplement l’attente par un refus du personnel de bâcler la prise en charge malgré la hausse de la fréquentation du service. Il me parle alors d’une angoissante expérience d’attente aux urgences qui avait mis en danger la vie de sa femme. Alors apaisé, il repart avec une mission : « calmer le couloir » me dit-il…

    L’effet de l’écoute et de l’information est donc, rien qu’à ce niveau, substantiel. Prendre ainsi en charge la détresse psychologique (autant des patients que de leur famille) limite visiblement ses effets désorganisateurs sur le fonctionnement du service, et permet d’autre part aux proches, ainsi soutenus, d’étayer à leur tour au mieux le patient.

Après la crise…

    Les urgences sont un lieu de crises. La crise est souvent l’occasion de changements dont le psychologue peut amorcer l’accompagnement. Accompagner le changement, c’est reprendre avec le patient le cours du temps qui s’est brusquement suspendu au moment de l’effroi. La parole fait alors, à cet endroit, son travail de réhabilitation temporelle : le déroulement des mots remet en marche celui du temps et réinscrit le patient dans son sentiment de continuité d’existence. Le verbe remet en quelque sorte les « muscles psychiques » de l’individu en mouvement, comme pourrait le faire une rééducation fonctionnelle. Et si nous n’avons pas recensé de refus à l’intervention du psychologue de la part des patients, c’est peut-être parce qu’il est nécessaire, pour tous, de « récupérer sa parole » quand le corps semble l’avoir monopolisée.

Un pont tendu…

    Les revendications concernant l’humanisation de l’hôpital et en particulier du service des urgences, sont l’occasion de réflexions communes pour une prise en charge globale du patient. Le psychologue, qui participe à la réinsertion d’un temps consacré à la souffrance psychique, tient une place à part entière dans cet effort d’humanisation. Sa présence et sa constance, puisqu’il passe voir le patient et sa famille à plusieurs reprises, rétablissent une certaine continuité du sentiment d’existence, que l’imprévu et la multiplicité des intervenants bousculent. Combattre ce climat d’agitation, qui décuple l’angoisse et émiette la notion même d’individu, là réside certainement l’enjeu d’une écoute personnalisée, pour ne pas faire de la priorité des soins du corps malade, une singulière exclusivité.

   Aux sein d’un service aussi médicalisé que celui des urgences médico-chirurgicales, une collaboration efficace entre équipe médicale et psychologue nécessite des ajustements réguliers : au cœur même de l’équipe soignante, un pont tendu entre psyché et soma. 

  

Références

1.    Circulaire DHOS/E 1 n°2001-503 du 22 octobre 2001 relative à l’accueil en urgence dans les établissements de santé des personnes victimes de violences ainsi que toutes personnes en situation de détresse psychologique. Bulletin Officiel n° 2001-44.

2.    Ancelin Schützenberger A (2001). Aïe, mes aïeux ! 15e éd. Paris : La méridienne – Desclée de Brouwer. 75-88.

3.    ANZIEU D. (1995). Le Moi-peau. coll. Psychismes. Paris: Dunod.

4.    BRISSETTE L., M.ARCAND, BONNET J., Soigner sans s’épuiser, éd. G. MORIN.

5.    CROCQ L., Spécificité de la recherche en psychiatrie sociale, in P. Chanoit et J. De Verbizier, Recherches en psychiatrie sociale, Toulouse, Eres, 1986, p. 45-51.

6.    LOPEZ G., BORNSTEIN S., Victimologie Clinique, Paris, Maloine, 1 vol., 1995.

7.    SAMI-ALI M., Le Corps, l’Espace et le Temps, coll. Psychismes, Paris, Dunod, 1990

8.    SAMI-ALI M., Penser le somatique. Imaginaire et pathologie, coll. Psychismes, Paris, Dunod, 

9.    WINNICOTT D. La Capacité d’être seul, in De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969, chap. 16.

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