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Traitement psychothérapeutique d’un syndrome post-traumatique à la police fédérale : exemple d’une approche somatique

JIDV 2 (Tome 1, numéro 2 - Janvier 2003)   

Auteure

Psychologue – Psychothérapeute, Stressteam Police Fédérale, Caserne Fritz Toussaint - Bruxelles

Résumé 

Le texte qui suit illustre le traitement de traumatismes psychiques auprès des intervenants des services de police et présente un exemple d’une approche somatique des troubles psychologiques (et post-traumatiques) suite à une expérience potentiellement traumatisante (appelée ci-dessous traumatogène). Il concerne principalement l’abord des séquelles post-traumatiques, suite à l’expérience traumatogène, pouvant donner lieu à un trauma chronifié, c’est à dire, lorsque l’individu n’a pu intégrer l’expérience traumatogène de façon suffisamment satisfaisante dans son identité et son histoire de vie. L’approche somatique est brièvement présentée à partir des travaux de Maryanna Eckberg (1999), psychothérapeute et formatrice de l’International Institute of Bioenergetic Analysis (IIBA), et de Peter Levine spécialiste du trauma et auteur d’un livre sur le sujet -“Waking the tiger” (1997). Un cas clinique tiré de ma pratique au sein du Stressteam de la Police Fédérale permet d’illustrer et d’analyser le travail psycho-corporel qui peut s’engager dans une psychothérapie post-trauma. Quelques conclusions sont dégagées pour le travail psychothérapeutique des séquelles post-traumatiques.

Mots-clés

Police ; traumatisme psychique ; approche somatique ; Maryanna Eckberg ;  traitement psycho-corporel

Fondements de l’approche somatique

 

L’approche somatique telle que présentée par Eckerg s’appuie sur la compréhension du traumatisme de chocproposée par Peter Levine (1997).  Pour Levine, lorsque l’organisme est dépassé au delà de sa capacité à gérer un évènement, il entre dans un état de choc.  Les réponses d’orientation et les réponses défensives (fight-flight) de l’organisme qui surviennent face à la menace sont entravées ou rendues impossibles. C’est cette incapacité à réaliser et à mener à bien les réponses préparatoires de compréhension du danger (menace de mort directe), réaction au danger – pendant que ce danger ne cesse d’accroître – en fonction des possibilités de « combat du danger «  (fight) donc « maîtrise » et de « fuite » (flight) qui provoque le traumatisme psychique et ses symptômes.  Ces réponses incluent une mobilisation et une décharge de l'énergie intense mobilisée face à une menace sérieuse. L'apparition des symptômes psychotraumatiques s'explique principalement par le fait que cette charge d’énergie associée aux réponses défensives reste dans le corps et n’est ni extériorisée, ni métabolisée. L’organisme est confronté à un “débordement”  de stimuli (et de leur intensité).  Il est en fait face à l’irreprésentable, à savoir la représentation de la « mort » - inexistant dans le psychisme en tant que concept   comme un ordinateur qui voudrait ouvrir un fichier prenant plus de mémoire que sa capacité de traitement lui permet ou voulant ouvrir un fichier inexistant. En matière de trauma psychique, on parle « d’effroi de la mort » , d’horreur, et/ou de terreur indicible (Crocq, 2002; De Soir & Vermeiren, 2002; van der Kolk, McFarlane, & Weisaeth, 1996). 

Dans cette situation l’expérience de l’évènement reste dissociée, lorsqu’elle est ramenée à la conscience, et l’état dans lequel la personne se retrouve en évoquant l’évènement est également un état dissocié.  Cela rejoint les symptômes de dissociation péritraumatique tels que la déréalisation, la dépersonnalisation, l’amnésie, l’analgésie, la « sortie du corps » e.a. qui se sont révélés être prédicteurs des troubles psychotraumatiques ultérieurs (van der Hart, van Dijke, van Son, & Steele, 2000 ; voir aussi http://www.trauma-pages.com/vdhart-2000.htm).   

De même, au niveau du traitement des informations par le système nerveux, l’encodage des éléments de l’expérience (tant les éléments perçus, les pensées associées que les réponses associées) reste fragmenté.  Ce traitement ne dépasse pas le niveau “inférieur”, c’est à dire que l’information n’arrive pas être traitée correctement par les systèmes limbique et cortical, car ces systèmes sont submergés.  Submergés, ces systèmes se coupent et ne fonctionnent plus, comme dans le cas d’un survoltage électrique le disjoncteur s’enclenche et entraîne une coupure du courant.  Les fonctions d’intégration et de contrôle ne fonctionnent donc plus car elles sont mises hors circuit.  De même la codification en mémoire ne peut aboutir comme pour un évènement normal.  La personne dans un tel état de choc ne sait donc plus avoir une vue d’ensemble de ce qui lui est arrivé et de ce qu’elle vit, ni avoir accès à l’évènement en tant que souvenir, c’est à dire en tant qu’évènement passé.  Cette personne “revit” l’expérience traumatique chaque fois que les éléments traumatiques reviennent à la conscience et/ou sont sollicités par la situation d’aujourd’hui. L’étude de la mémoire traumatique démontre que les souvenirs traumatiques apparaissent fragmentés, non intégrés, et sont directement  revécus quand ils reémergent à la conscience.  Ils restent toujours inintégrables pour la personne[1].  

 Le fait que ces expériences soient directement revécues au moment du “rappel” des souvenirs en tant qu’images, sensations, comportements et émotions (c’est à dire sans être dissociées du souvenir en tant que tel), indique que la mémoire de l’évènement reste une mémoire implicite. La mémoire explicite implique quant à elle que l’encodage des éléments de l’information est faite de manière séparée des éléments eux-mêmes, ceux-ci étant des perceptions, pensées, réactions physiologiques ou comportementales. La mémoire explicite permet la simple remémoration dans une attitude faisant la part des choses entre le temps du présent et celui du passé.  Cette dernière s’obtient uniquement lorsque le traitement intégré, ou codification de l’évènement a pu avoir lieu au moment de l’évènement ou après coup. Cela suppose donc, comme nous l’avons vu précédemment, que l’organisme puisse utiliser ses fonctions cérébrales supérieures de traitement de l’information parce qu’il n’est pas ou plus submergé par le niveau d’activation interne.

  

Figure 1. Le modèle de la modulation de l’agitation (arousal) – Seigel, 1999

La facilitation du passage de la mémoire implicite à la mémoire explicite en ce qui concerne les souvenirs traumatiques est un des points essentiels à considérer dans le traitement du PTSD.  Ce passage ne pourra pas se faire s’il n’y a pas une gestion correcte du niveau d’activation, afin de le maintenir dans des limites qui permettent le traitement correct des informations traumatiques (cf. figure 1 ci-dessus – le modèle de la modulation de l’agitation). C’est ce passage qui permettra à l’individu de ne plus vivre l’expérience traumatique de manière fragmentée et dissociée, de ne plus vivre cet évènement et l’angoisse qui l’accompagne (générée par toutes ces émotions et ce vécu indicibles car irreprésentable) comme quelque chose qui se répète en boucle dans sa scène psychique intérieure, de ne plus revivre tout rappel, même partiel, de l’évènement comme une reconfrontation aux éléments traumatogènes. 

L’intérêt de l’approche somatique réside en ce qu’elle peut traiter directement l'expérience traumatique parce qu’elle tient compte des expériences et souvenirs tels qu’ils sont encodés (encodage mnésique implicite, somato-sensori-moteur). Les sensations corporelles permettent une voie d'accès directe à l'esprit inconscient et aux parties plus anciennes et primitives du cerveau dans lesquelles l'expérience reste "encodée". De plus, le travail avec ces sensations permet un monitoring ou une gestion du niveau d’activation de la personne pendant son travail thérapeutique.  Les interventions somatiques fournissent de l’information sur le pattern physiologique de l’expérience traumatique et facilitent l'accès aux ressources biologiques nécessaires pour défaire ces patterns.  

Le but n’est cependant pas de replonger la personne telle quelle dans son « bain » traumatique, en misant sur une “simple décharge cathartique”, c’est à dire une simple décharge de l’énergie en excès à l’intérieur du psychisme de la personne. La reconfrontation réelle ou imaginaire risque de ramener la personne dans les mêmes conditions qui ont provoqué le débordement du psychisme et son inhibition, si le processus à l’origine du trauma ne peut être en quelque sorte mené à terme et aboutir à son intégration.   

Eckberg distingue 3 phases dans l’approche somatique.  Au début de l’intervention psychothérapeutique, en même temps que la mise en place d'une relation de confiance,  il s'agit avant tout d'éduquer et d’aider le client à contenir et à stabiliser les réactions post-traumatiques dont il souffre.  Ensuite, le matériel traumatique devra être renégocié pour qu’il puisse l’intégrer dans son identité (sens du soi) et se reconstruire une narration personnelle et cohérente. Enfin, le psychothérapeute veille au rétablissement de la capacité à éprouver du plaisir et des expériences positives. 

1ère phase : Stabilisation, éducation, et contenance 

La stabilisation des symptômes/réponses somatiques du patient est déjà amorcée par le travail direct sur les symptômes et/ou les réponses somatiques.  Le patient a le sentiment d’être pris en main par quelqu’un qui n’a pas peur des réactions corporelles.  Il ne ressent pas l'obligation de parler à tout prix du trauma. Il a rapidement accès à une compréhension de son fonctionnement somatique, émotionnel, et psychologique face au trauma. Tout cela contribue au développement de la sensation de sécurité, prérequis obligatoire pour le travail plus avant sur le trauma (renégociation).

La partie pédagogique, d'éducation au trauma, est également de nature à stabiliser l’état de la personne. En travaillant directement avec le fonctionnement somatique de la personne,  on peut se baser sur les éléments concrets de son expérience, intégrer les éléments subjectifs de son vécu, provenant de son caractère, son histoire de vie, ses origines socio-culturelles et professionnelles.  Les métaphores sont utiles.  Elles peuvent être puisées dans le milieu culturel et naturel de la personne. 

Enfin, le concept de contenance est fondamental dans le travail avec tout type de trauma psychique. Ce concept fait référence à la capacité à dégager un espace physique, psychique, relationnel, un espace dans lequel les représentations vont pouvoir s’élaborer. Cette capacité de contenance, nous la développons déjà bébé, au travers de nos expériences, et avec l’appui de la présence physique, de l’intérêt, et des représentations que les adultes nous offrent.  C’est cette capacité de contenance qui fait cruellement défaut dans l’expérience traumatique, vu que les capacités du système psychique à éprouver, à réagir et à représenter ont été dépassées.

En tant que thérapeute, notre rôle sera d’aider la personne traumatisée à reconstruire ou développer une capacité de contenance qui peut inclure l’expérience traumatique.  En quelque sorte nous nous retrouvons comme une mère qui va guider son bébé afin qu’il puisse supporter l’intensité des expériences qu’il vit en venant au monde et construire sa propre représentation de lui et du monde.  Dans ce travail, le thérapeute fonctionne comme un contenant, c’est à dire un support psychique externe pour l’expérience  de la personne.  Mais il va également au-delà de ce rôle de simple support en veillant à mobiliser les ressources propres de la personne, ressources externes (situation de vie, réseau social) et internes (capacité psychiques, physiques et émotionnelles). 

Les ressources internes constituent un des points centraux de l’intervention psychothérapeutique.  A ce niveau, la perspective somatique s'attache à réengager le corps dans une mobilisation positive de l’énergie.  En effet, du point de vue de l’approche somatique, le contenant psychique interne ne peut se développer sans un appui corporel.  Cet appui corporel est défaillant dans les états de choc :  la respiration est réduite, à l’inspiration, mais surtout à l’expiration, du fait de la paralysie et/ou l’immobilisation du diaphragme,  les différents tissus cellulaires sont fortement contractés (le mouvement énergétique est centripète).

Le réengagement du corps se fait en travaillant à accroître la respiration et la détente des tissus conjonctifs et musculaires.  Il faut aider la personne à redévelopper la force d’expansion ou force centrifuge de l’organisme vers la périphérie, la ramener à un sens de maîtrise d’elle-même, par exemple en proposant des jeux progressifs de contraction et décontraction (cf. technique Jacobson).  Tout cela va également dans le sens d’accroître les sensations et la conscience des mécanismes somatiques engagés.  Enfin, le travail des images positives accessibles et leur association avec des sensations corporelles plus positives va renforcer les mouvements de réexpansion de l’organisme et augmenter sa capacité à contenir. .  C’est ainsi que le traitement de l’expérience traumatique pourra se faire sans qu’il n’y ait à nouveau dissociation, “survoltage”, ou dépassement de capacité. 

Parallèlement, au fil des séances, la relation entre le patient et son psychothérapeute s’engage. Le psychothérapeute et les outils psycho-corporels utilisés (exercices physiques, somato-sensori-émotionnels) deviennent un réel support sur lequel le patient peut s’appuyer.  La capacité à contenir se construit donc sur le plan somatique, psychique et relationnel.

 2ème phase : Renégociation, réorganisation et intégration 

Dans cette deuxième phase, vu que la mémoire est contextuelle et dépendante des états (state–dependent memory), il est important de restimuler, réengager l’individu dans l’état altéré de conscience du trauma pour pouvoir accéder à l’ensemble des éléments fragmentés et dissociés, sinon la réorganisation ne sera pas possible. L'objectif de la renégociation de l’expérience traumatique est de reconnecter l'individu avec ce qui a été perdu lors de l’événement traumatique, c’est à dire les réponses de base de défense et d’orientation et de permettre leur mise en place et/ou aboutissement (cf. Levine, 1997).  Le point critique de ce travail réside alors dans l’importance de ne pas faire revivre à nouveau l’expérience de perte de contrôle associée à l’expérience traumatique (souvent liée à l’hyperexcitation revenue spontanément en étant reconfronté à l’expérience traumatogène – cf. figure 1). En effet, la terreur ressentie lors de l’expérience traumatogène est en relation avec le sens de perte de contrôle vécu à ce moment. Pour pouvoir se sentir en contrôle lors de cette renégociation, le patient doit comprendre que reconnaître les émotions et réactions somatiques associées au moment de la traumatisation ne ramènent pas la situation (traumatogène) elle-même ni la violence et impuissance qui y ont été associées. 

Les interventions somatiques vont faciliter cette renégociation délicate, parce que l’expérience traumatogène se revit avec les réactions somatiques et émotionnelles tout en restant «en charge» de son corps, et de ses réactions. Le processus de traitement de l’information traumatique est ralenti, un peu comme dans un film dont on peut contrôler le déroulement. Cela permet de se sentir en contrôle de ce qui se passe; rapporter de plus en plus de détails sur le vécu initial et subséquent, avec plus de distance; et de garder le contact avec la réalité du moment présent et avec le thérapeute. 

Eckberg a dégagé plusieurs principes de base pour la renégociation de l’expérience traumatogène (appelée traumatique dans la mesure où elle à été vécue comme une menace de mort directe et intense). Elle les tire du travail de Peter Levine sur le trauma.  Tout d’abord, le "titrage", terme issu de la chimie, permet de contrôler la réaction pour que seulement un peu de quantité d’énergie soit relâchée à chaque moment (sinon il y aurait une explosion intense d’émotion et d’éveil physiologique).  Le travail se fait en laissant de l’espace pour ces réactions et en les décortiquant en éléments – images ou sensations les plus concrètes possibles.  Par exemple : «j’ai peur».  Alors demander : «Où dans votre corps sentez-vous la peur?»   La personne peut répondre «ici dans ma poitrine».  Alors demander : «et comment cette peur se manifeste-t-elle dans votre poitrine?»…  Ce travail au ralenti permet d’ouvrir de l’espace pour démêler des réponses qui ont été mêlées, et pour associer et compléter des réponses qui ont été dissociées.  

En second lieu, l’identification des réponses, patterns de réponses présents chez le patient permet de démêler la peur/terreur de la réponse d’immobilisation et la terreur ressentie face à l’énergie intense (et des sentiments qui y sont associés) mobilisée par l’évènement traumatique.  
Le psychothérapeute observe et nomme les réponses qu’il voit, et celles qui lui viennent à l’esprit.  Par exemple : «je vois vos paupières qui bougent, votre respiration devient plus superficielle, vos jambes et vos bras tremblent un peu ».  Tout cela permet au patient de sortir de la réponse d’immobilisation (liée au moment initial de la traumatisation) pour se réengager dans des réponses défensives et d’orientation.  Comme il s’agit bien des réponses du patient qui doivent être explorées et reconstruites, il ne s’agit pas de suggérer des réponses qui ne lui appartiennent pas. 

Enfin, l’exploration du nœud traumatique ne peut se faire qu’avec l’appui sur les expériences positives et les ressources existant chez la personne.  Levine (1997) propose les concepts de vortex traumatique et vortex guérisseur pour mieux comprendre le processus de "guérison" du trauma.
L’énergie de l’organisme est attirée par ce que Levine appelle le vortex traumatique.  Ce vortex est le résultat d’une brèche dans l’enveloppe psychique qui sert à contenir le monde de nos expériences et nos représentations.  Cette brèche attire l’ensemble de l’énergie de l’organisme qui s’engouffre dans la brèche, comme l’eau dans une baignoire est attirée irrésistiblement dans le siphon qui se forme dans le trou d'évacuation des eaux.  Le risque est grand de se sentir “aspiré” hors de soi, lors d’une expérience traumatique : on se trouve face à un ensemble de perceptions et réactions traumatiques qui ne font pas sens et qui sont revécues en boucle fermée (cf. le syndrôme de répétition traumatique).  Ou bien on adopte une position défensive en évitant de se laisser aspirer par cette brèche traumatogène.  Cela se fait en se contractant et en adoptant des attitudes d’évitement et de détachement.  Mais alors on n’est plus capable non plus de vivre pleinement notre expérience intérieure et de relation au monde. 

Levine fait l’hypothèse qu’il existe un vortex guérisseur de sens inverse à celui du vortex traumatique, c’est à dire un centre de force spirale inverse qui permet de prendre le contre-pied du vortex traumatique, et dont la force peut-être développée.  Ce vortex naît juste à la base du vortex traumatique et réside encore à l’intérieur de notre monde habituel de représentations.  En augmentant la force de ce vortex, on équilibre les deux vortex et on leur permet de s’intégrer, ce qui a pour effet de colmater la brèche. Concrètement, cela se fait en explorant les expériences sensorielles liées au trauma. C’est dans ces expériences qu’on trouve les germes des réactions que la personne aurait voulu déployer et qui ont été barrées par la réalité de la situation et/ou son propre moi.  En faisant vivre ces expériences “guérisseuses” et en les laissant se dérouler,  une mobilité peut s'engager.  L’individu peut passer alternativement d’un vortex à l’autre. Nous nous trouvons alors dans un processus bipolaire comme un mouvement de balancier, propre au fonctionnement humain. Progressivement les 2 pôles de l’expérience traumatique peuvent s’intégrer au fur et à mesure qu'on se rapproche du centre de ces vortex, et que les images, sensations, représentations centrales du trauma et du potentiel guérisseur deviennent accessibles à la conscience.   

Ainsi, une patiente du milieu policier ayant déjà plusieurs années d’expérience a pu se retrouver confrontée à la vision du lieu d’un crime particulièrement traumatisant pour elle et élaborer davantage ses émotions une fois qu’elle a repéré que son premier mouvement avait été de dire non et de refuser de voir la scène du crime plus avant.  Il s’agissait de deux petits enfants égorgés par leur mère et de son suicide par pendaison après l’infanticide.  Son assistant lui avait proposé de  « respirer » un bon coup.  Mais, au lieu de faire cela, elle avait réprimé sa respiration pour passer au-delà de ce « non » qu’elle ressentait.  Elle avait fait cela pour réprimer les réactions émotionnelles qui venaient, et pour prouver aux collègues (masculins) de son équipe qu’elle était assez forte pour effectuer son travail dans ce genre de situation.  En reconnaissant ce « non » cette femme a pu remettre en route le scénario de réponses inhibées.  Ce « non » a également pu être mis en lien avec son propre vécu de sa mère dépressive représentée par cette femme infanticide et suicidaire. 

3ème phase : Expansion et capacité à éprouver du plaisir 

Le développement de la conscience/éveil sensoriel permet de se détacher de l’état traumatique et de pouvoir se réengager dans de nouvelles expériences positives et d’éprouver du plaisir.   

Ce processus de gestion de soi orienté vers le plaisir est déjà mis en route dans les étapes précédentes.  La sensation de support qui se développe grâce à la relation de confiance, et la stabilisation des réponses traumatiques constitue déjà un premier pas. Le réengagement du corps (dans sa globalité physique et psychologique) permet la remobilisation de l'énergie et de réinstaller une capacité de contenance au delà de l’expérience traumatique.  L'appel aux ressources personnelles et aux expériences positives rouvre la voie d'accès aux stimuli positifs. 

Il reste à laisser un espace pour qu'il y ait consolidation de ce mouvement vers l'expansion et le plaisir, en accueillant les expériences positives que la personne ramène de sa vie quotidienne, et en laissant la place pour de telles expériences dans les séances de psychothérapie.

Un exemple de psychothérapie post-trauma 

Il s’agit d’un policier de 33 ans ayant survécu à une collision frontale à 120 km/h sur autoroute. Il n’est pas blessé gravement, en tant que passager, mais son collègue conducteur est grièvement blessé et le conducteur du véhicule fantôme est décédé.  L’avant de la voiture est réduit pratiquement à néant.

V. est  policier de zone rurale, avec des principes de vie forts et étroits, basés sur l’influence familiale rurale et la culture policière machiste.

Il vient consulter 4 mois après l’accident, au moment de sa reprise du travail.  Il n’a plus de motivation au travail, il est anormalement irritable, et il a peur de perdre le contrôle en voiture.  Plusieurs fois, en situation de conduite, il a des flash-backs.  Il revoit les phares de la voiture qui les a percuté, il se sent étourdi, et le champ visuel bascule autour de lui. Sa manière de vivre est entrain de s’orienter autour de l’évitement de ce symptôme. 

Dans la première phase de la thérapie, de stabilisation, éducation et contenance, trois éléments viennent maintenir un sentiment d’insécurité. Il y a tout d’abord la reconfrontation régulière aux stimuli déclencheurs de la réaction de panique liée au trauma, en situation de conduite la nuit et au travail avec un véhicule de service.  Il se demande s’il est capable de conserver à terme son poste de policier de terrain en Brigade, puisqu’il n’est plus suffisamment opérationnel. Ensuite, ce sentiment d'insécurité professionnelle est exacerbé par la restructuration en cours de l'institution policière. Il se demande quelle place il pourra encore y avoir pour lui dans sa région rurale, avec le passage de la Gendarmerie à la Police locale, s’il ne redevient pas opérationnel à 100 %.  Enfin, sur le plan familial, ce policier doit faire face à une maladie rare chez son fils de 4 ans et demi ("tumeur de type myocitose X", entre deux vertèbres lombaires). Face à ce problème de santé V. a peur pour son fils et se sent impuissant. Il ne supporte pas le paradoxe d’un milieu médical qu’il vit comme étant à la fois tout puissant et dominant, et à la fois impuissant par rapport au problème de son fils. 

Ce dont il a le plus peur, c’est de perdre le contrôle de ses réactions internes. Le travail de soutien thérapeutique va d’abord s’orienter autour de la gestion des symptômes.  Différents outils sont proposés pour soutenir et stabiliser ses réactions émotionnelles.  L’écoute des symptômes amène V. progressivement à passer d’un discours-monologue plaintif où il parle des « choses » qui lui arrivent, à un discours-dialogue sur le ressenti somato-sensoriel.  Le travail de relaxation et respiration amène V. à se détendre un peu, à disposer d’un outil pour gérer ses crises de panique lorsqu’elles surviennent, et à rentrer dans le monde des sensations et du ressenti. 

Le réengagement du corps est poursuivi en travaillant sur les tensions musculaires et les blocages énergétiques. Des postures sont proposées pour étirer le diaphragme et les muscles thoraciques, et le larynx d’une part (étirement en arc, vers l’arrière, entre autres à l’aide du tabouret utilisé en analyse bioénergétique), et la chaîne musculaire postérieure d’autre part (étirement en se penchant vers l’avant, en arc inversé). Des mouvements, actions physiques d’expression sont proposées à partir du vécu émotionnel d’impuissance et de révolte présent. Cela permet d’explorer ce vécu et de travailler à le déployer et à le confirmer. En même temps, le corps est davantage réengagé dans ses fonctionnalités.  

Cette première phase de la thérapie est vécue par V. de manière passive et « non engagée ». Il croit encore que la survenue régulière de ses symptômes finira par passer toute seule. Mais cela permet quand même à V. de mobiliser son corps et son énergie face au traumatisme et aux réactions qu’il provoque. Le vécu d’impuissance et les réactions qu’il entraîne en lui se déploient corporellement et psychiquement. Ceux-ci commencent aussi à être élaborés analytiquement. Ils sont mis en lien ensemble et avec des éléments de l’histoire de V.. Je reste l’initiatrice principale de ce travail d’élaboration à partir de ce qu’il amène et qui se joue dans les séances. 

La deuxième phase de la thérapie, de renégociation, réorganisation et intégration du trauma ne s’enclenche dans le cas de V. qu’après 2 ans de travail. La lente construction du lien, ainsi qu’un début d’élaboration n’ont pu se mettre en place tant que l’insécurité restait présente et qu’une première élaboration de son vécu n’avait pas été faite. Ma place dans l’institution était en même temps un moteur et un frein à la thérapie, parce que j’étais associée par extension au cadre dans lequel le trauma s’est produit. V. était dans une demande implicite que « je » répare, et il n’aurait pas pu concevoir d’aller voir ailleurs pour son traitement thérapeutique. Mais en même temps, cette attitude l’empêchait de s’engager comme sujet actif et autonome de sa démarche d’aide. Le vécu d’impuissance de V. était amplifié par une telle attitude, et ce vécu rejoignait des éléments historiques autour desquels son caractère s’est construit. Ces éléments vont s’élaborer plus concrètement dans la deuxième et la troisième phase de la thérapie. Sa mère était toute puissante et omniprésente dans son quotidien d'enfant et même de jeune adulte. Elle régentait pratiquement tout de la vie familiale et de la vie de V.  Le vécu psychique de V. n’avait pas de place en tant que tel dans le monde psychique de sa mère.  V. a construit sa relation aux autres et à l’institution de cette manière, en attendant tout de l’autre, sans qu’il n’y ait besoin de formulation, et sans se créer un espace psychique propre.  Cette façon d’être au monde l’a maintenu dans un vécu d’impuissance, de frustration et de rage, vu qu’il n’a pu développer une autonomie réelle. Ce même vécu dramatique est également à la base de ce qu’il a vécu dans l’accident et la confrontation à la mort. Cette collision l’a mis face à lui-même et à sa peur d’être seul : son collègue qu’il a tout d’abord considéré comme mort, et les secours qu’il percevait comme n’arrivant pas.  Tout cela était augmenté par son incapacité à réaliser quoi que ce soit d’utile, et ce malgré le fait qu’il n’avait rien de “cassé” : il ne savait pas ouvrir la porte, sortir de la voiture, ni, une fois secouru, bouger ses jambes. 

C’est la survenue d’éléments de sécurité dans le quotidien de V. qui marquent pour moi le passage à la deuxième phase de la thérapie. Ainsi, la tumeur de son fils s’est résorbée comme par enchantement, et il a de bonnes perspectives pour obtenir un poste administratif qui reste un poste d’assistance opérationnelle dans le cadre de la mise en place de la Zone de Police à laquelle il appartient.  Ces éléments viennent consolider le moi de V., et, avec le support de la relation thérapeutique et de son acquis, vont lui permettre de se laisser aller plus loin dans l’expérience traumatique et son exploration. 

Le travail psycho-corporel engagé est du même type que celui décrit plus haut, mais les sensations et réactions traumatiques se déploient et peuvent être abordées dans le vécu des séances. A deux reprises d’ailleurs, nous nous trouvons plongés dans la situation-même. V. se trouve sans mots et « réaction » apparente. La notion de temps et d’espace est perturbée tant chez moi que chez lui.  J’ai l’impression d’avoir basculé avec lui dans une autre dimension.  Ce sont d’abord mes mots qui vont aider à élaborer ces sensations et amener le « concret » du choc physique et psychique à la conscience de V.  Des sensations fines liées à ces chocs émergent.  Ainsi, il ressent son corps comme de travers.  Cette « distortion » de son corps semble en rapport avec le désir et l’effort qu’il a essayé de mettre en place pour éviter la collision dans la fraction de seconde où il l’a vue venir.  C’est un peu comme si son corps avait essayé d’éviter la collision avec la voiture en se tendant très fort dans des mouvements qui auraient pu le sauver si son corps avait été élastique (et se déporter sur le bord de l’habitacle) et si la force de ses jambes avait pu faire freiner sa voiture et la force de ses bras repousser l’autre voiture. De même, il ressent des picotements intenses et douloureux, comme s’il avait des aiguilles de glace dans ses membres et au bout de ses doigts. Il a l’impression que ses os pourraient se briser en mille morceaux s’il lâchait un peu plus. Cela me semble correspondre à la tension extrême qu’il a déployé pour résister au choc, et « tenir ses morceaux ensemble » face à l’approche de la collision mortelle. Toutes ces tensions ont sans doute permis au corps de V. de résister physiquement au choc violent.  Le réveil d’un tel état se fait dans la douleur, comme lorsque des membres engourdis par le froid se détendent dans la chaleur. Il dira d’ailleurs de lui-même qu’il sent la vie revenir dans son corps, et c’est d’ailleurs nettement visible en séance. C’est donc en même temps que ces sensations liées au trauma deviennent explorables que la vie revient.  Mais c’est aussi parce que la vie revient que ces sensations deviennent explorables. 

Dans le cas de V., ce n’est qu’après ce travail qu’il peut intégrer un peu l’empreinte que la « scène » familiale a eue sur lui, sur sa façon d’aborder le monde et de réagir. C’est un peu comme si le travail de cette situation traumatique a permis à V. de construire corporellement et relationnellement des éléments qui lui ouvrent la possibilité d’explorer la vie et les conflits psychiques sur lesquels il s’est bâti.  L’accident traumatique finit par prendre sens pour V.  On peut dire que cette partie de la thérapie constitue la 3ème phase du traitement du trauma, parce qu’elle ouvre des nouvelles perspectives à V. dans son quotidien.  Ce n’est sans doute pas pour lui le bout de son chemin thérapeutique. Des éléments de son caractère restent à ouvrir plus profondément s’il veut se désengluer de certains mécanismes peu adaptatifs qui sont toujours à l’œuvre dans son quotidien.  Lorsqu’il le sentira, il pourra aller plus loin, avec un autre thérapeute, vu les limites du cadre institutionnel du travail effectué avec lui. 

Conclusion

L’approche décrite ici prend en compte les mêmes étapes pour le processus thérapeutique que celles recommandées par van der Kolk, McFarlane, & van der Hart (1996) en cas de syndrôme posttraumatique. Ces étapes sont valables pour l'ensemble des approches thérapeutiques. L'aspect somatique de l'approche décrite ici est juste un élargissement du champ de travail psychothérapeutique. Cet élargissement est à la croisée des chemins des approches comportementales, analytiques, humanistes, et psychocorporelles. La prise en compte des aspects somatiques du trauma est essentiel car nous avons à faire à des manifestations qui sont en-deça du niveau verbal, et qui, vu leur intensité, inhibent l'intégration verbale et mentale du trauma. Ceci n'est sans doute pas sans lien avec le fait que l'aspect traumatique des évènements traumatogènes réside justement dans la confrontation à l'irreprésentable, ce qui est quelque part de l'ordre de l'"inintégrable".  

Commencer avec le concret du somatique permet de créer plus directement un lien avec le client, en étant présent à la réalité de son vécu.  Prendre en compte le somatique c'est aussi lui donner accès à un début de "re-présentation" du trauma, celui qui est déjà en germe chez lui, mais qui se situe à un niveau infra-verbal demandant à être perçu et décodé.   

Dans ce contexte, il peut-être essentiel d'"animer" le corps, de le remettre en mouvement, en douceur, afin de le sortir de la torpeur ou paralysie du choc et de ramener les "sens" à la conscience. Ainsi les symptômes physiques de V.  progressent tout au long de sa psychothérapie. Il vit son corps comme épuisé, lourd, oppressé par un poids.  Ses genoux lui apparaissent bloqués et le gênent, alors que médicalement "il n'y a rien". Il a l'impression de marcher sur des oeufs, d'être en arrière de son corps et sur le côté.  A un moment il a également la sensation d'un étau ou garrot autour de ses cuisses.   

Cette approche est bien utile lorsque nous avons à faire à des personnes issues d'un milieu culturel et/ou professionnel où il y a peu d'élaboration psychique et émotionnelle. Leur monde de représentation émotionnelle est relativement peu élaboré. Leurs croyances de base viennent appuyer leur identité en tant que personne capable de contrôler, de prévoir, de secourir les autres. Ces personnes se trouvent particulièrement démunies face au trauma lorsqu'il vient les toucher. Les aspects somatiques de leur expérience constituent alors la presque unique voie d'accès. C'est le cas de personnes, comme V., imprégnés de la culture policière, et d'autres cultures de type "macho"  ou "sauveur".  

Références

CROCQ, L. (2002).  Expression  des émotions et aspect cathartique du debriefing, in Les débriefings psychologiques en question, éd. par De Soir & Vermeiren, Garant, Anvers.

DE SOIR, E., VERMEIREN, E. (2002).  Les débriefings psychologiques en question, éd. par De Soir & Vermeiren, Garant, Anvers.

ECKBERG, M. (1999).  Treatment of shock trauma : A somatic perspective, in Bioenergetic Analysis10, n°1, pp. 73-96

LEVINE, P. (1997).  Waking the tiger ;  healing trauma.  North Atlantic Books, Berkeley, CA.

NIJENHUIS, L., VANDER HART, O., & STEELE, K. (2002).  Structural dissociation of the personality : Traumatic origins, phobic maintenance, in Journal of Child Sexual Abuse.  

VAN DER KOLK,B. A. & FISLER, R. (1995).  Dissociation and the fragmentary nature of tramatic memories : Review and experimental confirmation, in Journal of traumatic stress, 8(4), 505-525.

VAN DER KOLK,B. A., McFARLANE, A. C., & VAN DER HART, O. (1996).  A general approach to treatment of Posttraumatic Stress Disorder, in Traumatic stress, The effects of overwhelming experience on mind, body, and society, ed. by van der Kolk, McFarlane, & Weisaeth, The Guilford Press, NY.

VAN DER KOLK, B. A., MCFARLANE, A. C., & WEISAETH (1996).  Traumatic stress, The effects of overwhelming experience on mind, body, and society, The Guilford Press, NY.


[1]  Ce fonctionnement particulier de la « mémoire » traumatique est à mettre en relation avec les hypothèses de travail récemment avancées par Nijenhuis, van der Hart et Steele (2001, 2002) lors de séminaires pré-conférence des dernières conférences de l’International Society for Traumatic Stress Studies et de la European Society for Traumatic Stress Studies, sur l’existence d’une personnalité traumatique fonctionnant de manière dissociée (personnalité émotionnelle ou EP) fonctionnant en alternance avec une personnalité apparemment normale (ANP) chez les personnes souffrant de PTSD.

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