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La maternité des femmes prostituées

DOITTEAU, N.(1) ET DAMANT, D.(2) [CANADA, QC]

(1)M. Serv. Soc., Université Laval
(2)Ph.D., École de service social, Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes, Université Laval 
 

Résumé

Notre étude a porté sur un aspect particulier de la vie des femmes qui pratiquent la prostitution de rue : leur maternité. Nous savons que plusieurs femmes qui se prostituent ont des enfants. Par contre, très peu de recherches ont exploré le lien qu’elles ont avec eux. Nous avons alors choisi de construire une étude sur la maternité des femmes prostituées, leur perception de leur situation depuis la grossesse, de leur rôle de mère et enfin, la relation qu’elles entretiennent avec leur(s) enfant(s). Cette étude, basée sur l’analyse de contenu de récits de 24 mères prostituées de rue à Québec selon une approche qualitative, nous a permis de mettre en relief les difficultés qu’elles rencontrent et qui mettent à mal leur maternité (violence conjugale, difficultés familiales, consommation, incarcérations, violences institutionnelles et sociales) et les stratégies qu’elles utilisent pour garder et protéger leur(s) enfant(s), promouvoir autant que possible leur bien-être.

Mots-clés

Prostitution, maternité, violence, vulnérabilité, femmes.

Article paru dans le Journal International de Victimologie n°10 - H4 Éditions.

 

Recension de la littérature

Dans les pays occidentaux, la prostitution peut s’exercer partout, dans les lieux privés comme dans les lieux publics tels les bars, les hôtels, les parcs ou encore les rues. C’est une activité très hiérarchisée et la prostitution de rue semble correspondre au niveau le plus bas, où les conditions sont les plus difficiles, la violence quasi permanente (Weiner, 1996; Plamondon, 2002; Raphael & Shapiro, 2004; Surrat, Inciardi, Kurtz & Kiley, 2004). Plamondon (2002) rapporte dans sa recension d’écrits qu’au Québec, les personnes prostituées forment un groupe très hétérogène tant au niveau de l’âge, de la scolarité, de l’ethnie, de la culture d’origine, de la consommation de drogue ou encore des services sexuels offerts et des tarifs proposés aux clients. Plamondon (2002) a dressé un profil prostitutif et a identifié des facteurs d’entrée dans la prostitution : ce sont en majorité des femmes âgées entre 20 et 30 ans. En ce qui concerne le Québec, les chiffres divergent (Plamondon, 2002). Comme le soulignent Raphael et Shapiro (2002), beaucoup ont commencé leur activité prostitutionnelle lorsqu’elles étaient mineures. Différents éléments sont associés à l’entrée en prostitution. Beaucoup de personnes prostituées ont vécu de la violence (violences conjugales et familiales, abus physiques ou sexuels très fréquents), des difficultés familiales (désaffiliation, négligence parentale, placement en centre ou famille d’accueil…), qui les rendent vulnérables (Trottier et al., 2002; Surrat et al., 2004). Ensuite, souvent, un contact avec une personne du monde prostitutionnel va les amener à se prostituer, d’abord juste pour l’argent ou pour la drogue (Plamondon, 2002). L’entrée en prostitution engendre de nouvelles difficultés : le risque de subir de la violence par les clients, les proxénètes, les résidents du quartier ou encore le corps policier (Lowman, 2000; Raphael & Shapiro, 2002; Monto, 2004; Surrat et al., 2004), les conditions de vie difficiles et précaires (Weiner, 1996; Johnson et al., 1996; Raphael et Shapiro, 2002; Damant et al., 2003), la stigmatisation sociale (Mansson & Hedin, 1998), la consommation (Raphael & Shapiro, 2002) et enfin le risque d’Infections Transmissibles Sexuellement (ITS) (Champagne, 1994; Weiner, 1996; Damant et al., 2003).

Concernant la maternité des femmes prostituées, les études montrent que plusieurs de ces femmes sont mères mais aucune ne s’attarde sur ce thème. Ainsi, pour établir un plan d’analyse, nous avons élargi notre recension d’écrits à d’autres problématiques : les mères toxicomanes (Guyon, De Koninck, Morissette & Chayer, 1998; Schneeberger, 2000) et les mères sidatiques (Pollack & Schiltz, 1987; Rolfs et al., 1990; Estebanez, Fitch & Najera, 1993; Weiner, 1996; Dematteo et al., 1999; Mak et al., 2003).

Le profil des femmes toxicomanes (Guyon et al., 1998; Schneeberger, 2000) ressemble beaucoup à celui des femmes prostituées. Il apparaît que les mères toxicomanes rencontrent de nombreuses difficultés qui mettent en péril leur lien avec leur enfant : les grossesses sont majoritairement non prévues (Guyon et al., 2002), les conditions de vie sont précaires, la violence est quasi permanente (Sales & Murphy, 2000), les mères perdent très souvent la garde de leurs enfants (Guyon et al., 1998; Schneeberger, 2000). De plus, la délinquance, les temps d’incarcération qui en découlent, les hospitalisations ou les périodes de traitement de la toxicomanie (CPLT, 1999) causent des absences fréquentes. Enfin, la vulnérabilité de la mère et les conséquences pour l’enfant d’être exposé aux drogues engendrent une difficulté dans l’interaction mère-enfant et la mère peut, dans certains cas, reproduire avec son enfant ce qu’elle même a vécu telle que de la violence parentale (Wiener, 1996; Guyon et al., 1998). Dans leurs études, Wiener (1996) et Schneeberger (2000) évoquent également les difficultés qu’éprouvent les mères toxicomanes à répondre aux besoins de leur(s) enfant(s) du fait de leur consommation. La stigmatisation sociale enferme, quant à elle, ces mères dans leurs problématiques et contribue alors à compromettre le développement de la relation mère-enfant (Guyon et al.,2002). De surcroît, les accompagnements proposés sont rares, elles sont victimes d’une forte stigmatisation sociale qui renforce leur perception de ne pas pouvoir jouer le rôle de mère auprès de leur(s) enfant(s).

Selon Goupil (2002), les mères séropositives font face à de multiples difficultés dont la précarité, la stigmatisation sociale et l’isolement. De plus, elles seraient confrontées à une discrimination des services sociaux et médicaux qui peuvent méconnaître la problématique, leur reprocher d’avoir des enfants ou bien avoir peur pour leur propre sécurité. De par cette discrimination ou la peur d’être mal reçues, ces femmes vont difficilement demander de l’aide (Goupil, 2002). Enfin, elles se sentent coupables de leur état et du risque qu’elles font encourir à leur(s) enfant(s). Elles ont peur quant au devenir de l’enfant et au risque de contaminer le fœtus (Chartier & Matot, 1991; Castadena, Ortiz, Garcia & Hernandez-Avila, 1996). Comme le constate Goupil (2002), les préjugés, la méconnaissance sociale concernant cette maladie entraînent une marginalisation : ces femmes sont perçues comme des dangers. Par ailleurs, elles vivent une double stigmatisation du fait qu’elles sont femmes et également mères malades. Elles se confrontent alors à l’idéologie de la mère idéale. Il est impensable pour le sens commun qu’une femme « normale et correcte » soit infectée par le VIH : elle doit donc être soit prostituée, soit toxicomane (Pollack & Schiltz, 1987; Goupil, 2002).

De cette brève recension, il ressort qu’il existe très peu d’études sur la maternité des mères prostituées. Les écrits sur les mères toxicomanes ou sidéennes révèlent les nombreuses difficultés auxquelles ces femmes sont confrontées. Il était donc pertinent de se demander si le vécu des mères prostituées était semblable.

 

Objectifs et méthodologie

Notre étude porte sur la maternité des femmes prostituées. Le but était d’explorer la signification de la maternité dans la vie de femmes prostituées. Ainsi, trois objectifs ont été fixés afin d’atteindre ce but : 1) explorer la nature de la relation de femmes prostituées avec leur(s) enfant(s) depuis la grossesse jusqu’à la date de l’entrevue; 2) explorer le rôle que se donnent ces femmes auprès de leur(s) enfant(s); 3) explorer les différents événements qui ont influencé leur maternité.

Pour ce faire, nous avons analysé des entrevues recueillies dans le cadre de deux projets de recherches qualitatives*. Nous avons sélectionné 24 entrevues répondant à nos propres critères de recrutement, à savoir : 1) exercer uniquement ou principalement la prostitution de rue; 2) vivre à Québec ou dans la région de Québec; 3) avoir des enfants; 4) avoir ou pas la garde de leur(s) enfant(s); 5) parler français.

Les données ont été collectées lors d’entrevues individuelles semi-dirigées d’une durée d’environ 1h30, pour la première recherche entre l’été 2000 et l’hiver 2001 et pour la seconde recherche de l’automne 2003 au printemps 2004. Le recrutement a été permis grâce à la collaboration de deux organismes communautaires de Québec : Projet Intervention Prostitution Québec (PIPQ) et Point de Repères.

Après avoir sélectionné les entrevues, le corpus de recherche a fait l’objet d’une analyse de contenu. Nous avons gardé les données portant sur la maternité, sur la relation de ces mères avec leur(s) enfant(s). Toute autre donnée n’a pas été réutilisée à moins qu’elle ne permettait de mieux 

comprendre la situation de la personne en tant que mère. L’analyse a été effectuée avec un souci de toujours tenir compte du contexte à l’intérieur duquel chaque information a été fournie. Par ailleurs, le logiciel NVivo a été utilisé comme outil de traitement du matériel qualitatif.

Il est important de noter que cette recherche se basait sur l’analyse de données secondaires dont l’objet central n’était pas la maternité. Ce point est important car ceci nous a empêché d’obtenir tous les éléments qui auraient permis d’avoir une vision globale de la situation des 24 femmes. Ainsi, la diversité et la richesse des propos sont moindres. Néanmoins, les résultats nous ont paru suffisants et assez fructueux pour atteindre les objectifs fixés.

Les thèmes d’entrevues explorés étaient les suivants : les conditions de vie, le contexte prostitutionnel, les évènements marquants, la délinquance, la consommation, le rapport aux autres (niveau interpersonnel, social et institutionnel), la perception du rôle de mère et la relation mère-enfant.

Par ailleurs, nous avons choisi de travailler sur les perceptions de ces femmes, posant le postulat que les perceptions de chaque individu entraînent des effets sur son comportement et que les perceptions sont des significations données à des faits vécus (théorie interactionniste symbolique). Il reste que ce sont des perceptions, nous avons rendu compte de leurs significations et ceci implique une autre limite : les faits qu’elles racontent découlent de leurs perceptions des situations donc de leur subjectivité.

 

 

La population à l’étude

L’âge des 24 mères rencontrées varie entre 21 et 50 ans, l’âge moyen étant de 34 ans. La moyenne d’âge lors de la première grossesse est, quant à elle, de 22 ans. Elles ont entre un et cinq enfants, 19 ont un ou deux enfants alors que quatre en ont au moins 3. L’âge des enfants varie entre 8 mois et 30 ans, la moyenne d’âge étant de 11 ans. Sur les 24 répondantes, nous savons que deux mères ont la garde de leur(s) enfant(s) et seize ne l’ont plus. Deux femmes qui ont la garde ne vivent pas avec eux puisque l’une est en prison lors de l’entrevue et l’autre a la garde partagée avec son mari qui vit avec les enfants. Il est important aussi de noter que les enfants d’une même mère n’ont pas toujours le même statut puisque, par exemple, dans une même fratrie, un enfant peut avoir été adopté et l’autre placé en famille d’accueil. Une seule mère vit avec ses enfants et ce bien qu’elle n’en ait plus la garde car elle vit chez sa mère qui a obtenu la garde de ses petits-enfants.

Les résultats des entrevues seront présentés en trois points distincts soit, pendant la grossesse jusqu’à l’accouchement, après la naissance et enfin la relation mère-enfant.

 

De la grossesse à l’accouchement

La majorité des grossesses n’a pas été planifiée. C’est souvent après quelques mois sans menstruation que les femmes en prennent conscience. En effet, la consommation crée souvent des menstruations irrégulières. L’avortement n’est pas un choix pris facilement : il entraîne une tristesse ou une recrudescence de la consommation. Plusieurs femmes disent avorter pour le bien de l’enfant à 

naître. Elles le font car elles pensent qu’il ne grandira pas dans de « bonnes » conditions, évoquant la toxicomanie et la violence conjugale qu’elles subissent. Par ailleurs, plusieurs répondantes ont fait des fausses couches qui seraient reliées à la consommation de drogue ou la violence du conjoint. Néanmoins, bien que la plupart ont vécu des fausses couches ou des avortements, elles en viennent toutes à décider d’avoir un enfant ou bien elles décident de ne pas avorter lors d’une autre grossesse. Certaines réalisent parfois qu’il est trop tard pour avorter.

Par ailleurs, plusieurs d’entre elles disent ne pas savoir qui est le père parce qu’elles ont des relations sexuelles non protégées avec d’autres hommes.

Seulement quatre répondantes évoquent leur activité prostitutionnelle durant la grossesse. Plusieurs situations sont dépeintes (continuer, réduire, arrêter ou exercer davantage la prostitution) et une même personne peut agir d’une telle façon pendant une grossesse puis d’une autre façon lors de la grossesse suivante.

Toutes les répondantes ont consommé des drogues pendant leur grossesse. La majorité semble poursuivre leur consommation, certaines réduisent ou modifient leur mode de consommation. Deux disent avoir arrêté.

Une place importante est accordée aux conjoints dans le discours des femmes mais il est rare que ceux-ci soient décrits de façon positive. Il ressort tout d’abord que ces femmes ont plusieurs partenaires au cours de leur grossesse et ils exercent beaucoup de violence envers elles et ce, même lorsqu’elles sont enceintes. La violence prend plusieurs formes mais elle reste majoritairement physique. Certains conjoints commettent des actes criminels. La plupart consomment également. Nous observons donc ici que le climat conjugal est dépeint négativement, il s’agit d’un climat de violence qui peut aller jusqu’à mettre l’enfant en péril (risque de fausse couche) et qui vulnérabilise d’autant plus les répondantes.

Rares sont les femmes qui évoquent la relation qu’elles entretiennent avec leur famille durant leur grossesse. En fait, pour les quatre seules répondantes qui en parlent, la famille semble être présente et jouer un rôle important. Puisqu’aucune autre personne n’évoque ses liens avec sa famille, il est possible de penser que celles-ci étaient absentes. Beaucoup ont coupé les liens avec leur famille avant la première grossesse.

En outre, il ressort que ces femmes ont diverses interactions avec les institutions. Concernant d’abord les services médicaux, nous pouvons premièrement observer une influence sur le choix de mener à terme ou non sa grossesse : le personnel médical peut conseiller, informer et parfois culpabiliser les femmes en jugeant le fait qu’elles soient enceintes ou qu’elles veuillent garder l’enfant. Concernant les acteurs du système judiciaire, une autre femme mentionne sa colère contre le personnel de prison. En effet, dans la situation qu’elle expose, nous comprenons que son bébé est décédé alors qu’elle était en prison. Selon la répondante, elle n’a pas eu les soins appropriés lors de sa grossesse ni le droit d’être présente lors de l’enterrement. Très peu de répondantes évoquent spécifiquement l’accouchement. Les quelques fois où elles en font mention révèlent des épisodes importants dans leur vie, ce sont souvent des évènements heureux, parfois l’occasion d’un rapprochement familial.

 

Après la naissance de l’enfant

La moitié des répondantes avaient commencé à se prostituer avant d’avoir leur premier enfant. Six répondantes avaient commencé, quant à elles, à se prostituer entre le premier accouchement et le placement de leur(s) enfant(s). Six femmes au moins ont vécu avec leur(s) enfant(s) tout en se prostituant jusqu’à leur placement. Après la naissance de leur enfant, la plupart des répondantes ont continué leur activité prostitutionnelle. À travers le récit de certaines répondantes, nous voyons que le fait d’avoir un enfant et d’en avoir ou non la garde influence l’activité prostitutionnelle et ce, de manière différente selon les personnes. En effet, pour certaines, avoir un enfant peut amener à se prostituer car la prostitution serait un moyen d’avoir de l’argent pour subvenir à ses besoins. À l’inverse, avoir un enfant peut amener la personne à ne plus exercer cette activité. Enfin, le fait de perdre son enfant peut provoquer un retour à la prostitution ou une recrudescence de l’activité.

 

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