Intervention de la Cellule Médico-Psychologique auprès des marins français intervenus sur les lieux du naufrage du Joola
DEVILLIERES, P. (1) & RAINGEARD, D. (2) [FRANCE]
(1)Médecin en chef DEVILLIERES, Médecin chef du Service Local de Psychologie Appliquée de BREST, BP 23, 29420, BREST – NAVAL.
(2)Médecin en chef RAINGEARD, Médecin chef du Service de Psychologie Appliquée et d’Hygiène Mentale de la Marine, 3 rue Octave Greard, 75007 PARIS
Résumé
Le naufrage du JOOLA est un drame humain d’une ampleur considérable, qui s’est produit fin septembre 2002. Les marins de la marine Nationale Française qui ont pris part dans des conditions particulièrement éprouvantes aux opérations d’assistance consécutives au naufrage du ferry-boat, ont pu bénéficier de l’action du soutien de la cellule médico-psychologique. Cette intervention sous forme de débriefings psychologiques permet une prise en charge précoce des personnels impliqués, associée à un suivi au delà de cette action ponctuelle, favorisant l’amélioration plus rapide des troubles lorsque surgit un syndrome de répétition post-traumatique.Mots-clés
Naufrage, traumatisme psychique, cellule médico-psychologique, PTSD, debriefing.
Article paru dans le Journal International de Victimologie n°4 - H4 Éditions.
Le ferry-boat JOOLA reliait la Casamance à Dakar depuis 1992 ; suite à une avarie de moteur il est arrêté en été 2001, et ne reprend ses rotations que le 10 septembre 2002, après une inauguration officielle. Le 26 septembre il quitte Ziguinchor, en Casamance, puis fait escale à Carabane, et navigue en direction de Dakar. Il s’agit d’un navire à fond plat qui convient bien à la navigation dans un chenal avant l’océan. Les ballasts ne sont pas remplis, une baisse de pression ayant empêché de faire le plein à Ziguinchor. Les vérifications élémentaires de sécurité sont négligées; la surcharge en passagers est évidente : prévu pour le transport de 550 passagers. On dénombre officiellement 1034 passagers après l’escale de Carabane. Plus tard, on apprendra qu’il y avait en fait 1863 personnes à bord.
A 22 heures le JOOLA envoie son dernier message et ne signale aucun problème. Tout va alors se dérouler très rapidement. L’orage, venu de la terre, rattrape le bateau. Un coup de vent ( 50 à 55 Km / h) abat un paquet de pluie. Le «JOOLA» s’incline encore plus sur la gauche qu’à l’accoutumée. Près de 500 passagers sont sur le pont . Ils glissent vers bâbord pour se mettre à l’abri: l’inclinaison s’accentue. A l’arrière, un bruit de tôles broyées: les véhicules, qui n’avaient pas été arrimés lors du chargement, viennent de glisser et se fracassent sur le côté gauche du pont-garage.
Entraîné par ce poids, le «JOOLA» est maintenant sur le flanc, et c’est la catastrophe ; l’eau entre par les hublots de troisième classe, la lumière s’éteint. Il s’ensuit une panique mortelle : à l’intérieur, les passagers se bousculent, tentent de trouver une issue. Certains essaient de nager, dans le noir, sans pouvoir repérer où se trouvent le haut et le bas, dans un capharnaüm d’objets, emportés, brassés par les eaux ; des gens terrorisés tentent de s’agripper à d’autres qui les écartent, s’en défont, pour tenter de survivre ; des enfants hurlent, des mères appellent. Dans la cabine de pilotage les marins, épouvantés, emportés par le mouvement du bateau, sont tous précipités vers la porte gauche où l’eau commence à entrer, ils ne peuvent plus accéder aux commandes, ni lancer de SOS. Dehors, des gens sautent ou sont précipités dans les flots, ne s’entrapercevant qu’à la lueur des éclairs. Les embarcations de secours ne sont pas mises à l’eau. Le JOOLA se retourne, coque en l’air.
L’ampleur de la catastrophe
La catastrophe s’est jouée en quelques minutes. L’arrivée des secours est tardive. Ce n’est que le lendemain matin, vendredi 27 septembre, que les premiers navires sauveteurs, des chalutiers, recueillent les survivants. On a parlé du « TITANIC AFRICAIN » dans les médias : on ne dénombre en effet que 64 survivants sur les 1863 passagers du JOOLA, alors que, lors de la catastrophe du 14 au 15 avril 1912, 820 personnes avaient pu être sauvés parmi les 2602 passagers du TITANIC. Proportionnellement on compte près de dix fois moins de survivants pour un nombre quasi identique de morts: 1799 victimes pour le JOOLA et 1782 pour le TITANIC.
La comparaison s’arrête là, à l’ampleur de la catastrophe humaine. Ces deux drames maritimes s’opposent sur bien d’autres points : ici noué en quelques minutes, ne laissant ni la possibilité de SOS, ni de mettre à l’eau les embarcations de secours, en eau tropicale et non en eau glaciale, à proximité des côtes, et non pas en plein océan …Ce qui n’a pas empêché le retard des secours.
Il s’agit en premier lieu d’un drame humain collectif d’une ampleur exceptionnelle, avec malheureusement beaucoup de femmes et enfants parmi les nombreuses victimes. C’est aussi le drame de la négligence…., à tous les niveaux. Choquée et indignée, la foule en colère marche vers la présidence. Le ministre des transports et celui des armées sont limogés ; le reste du gouvernement est remercié près d’un mois plus tard. C’est aussi un drame économique pour la Casamance: la disparition du JOOLA prive le pays de la route maritime. En effet, la route terrestre du nord vers Dakar est dangereuse du fait de l’insécurité de la région (passagers détroussés), longue (450 km) et lente (un à trois jours) du fait de postes douaniers, d’une traversée par bac. Enfin, avec environ 400 étudiants à bord du JOOLA pour la rentrée universitaire, c’est toute la future élite d’une région qui disparaît.
L’intervention de la Marine Nationale
Tout cela, les marins de la marine Nationale Française ne le savent pas encore…
Le vendredi 27 septembre au matin les marins du navire hydrographique « LAPLACE », en escale à Dakar, et ceux du CTM 26, une barge de transport de troupe, sont mis en alerte: ils apprennent ainsi le naufrage du JOOLA. Mais l’alerte est levée rapidement. Un hélicoptère des Forces Françaises du Cap vert va déposer par hélitreuillage deux plongeurs sénégalais près de l’épave…
Le samedi 28 septembre à 5 h 30, l’alerte est à nouveau donnée, pour un appareillage à 8 h ; l’équipage du CTM 26 embarque un container frigorifique ; il sait qu’il va récupérer et stocker des cadavres ; il en va différemment pour le LAPLACE qui pense récupérer des survivants sur les chalutiers; ils embarquent du matériel sanitaire (médicaments, lits…) et du personnel du service de santé: un médecin et un infirmier anesthésiste. Dès l’arrivée sur les lieux du naufrage, les « surprises macabres » s’enchaînent : il n’y a plus que des cadavres, et ce qui leur est alors demandé est de récupérer les corps; ils ne sont plus des sauveteurs mais des fossoyeurs de la mer!
Les marins des chalutiers repèrent les corps qui dérivent et
passent à proximité. Ils mettent les Zodiacs à la mer, les récupèrent, et les amènent aux chalutiers. Les plongeurs sénégalais en cherchent d’autres dans l’épave dérivante et les poussent au dehors. Les cadavres s’agglutinent en grappes à la surface… Ils sont impressionnés par le nombre de corps; lorsqu’ils les embarquent, l’état de putréfaction des corps est très avancé, après environ 48 heures en eau tropicale; ils sont gonflés, boursouflés; la puanteur est difficilement supportable, et les femmes et les enfants sont en grand nombre.
Courageusement ils se mettent au travail, effectuant des navettes incessantes, pendant des heures, avec les zodiacs, entre l’épave autour de laquelle ils récupèrent les corps, et les chalutiers munis de containers frigorifiques.
L’intervention de la cellule médico-psychologique
A la demande du médecin chef du Cap vert et dans le cadre du soutien aux marins impliqués, la mission est mise en œuvre. Le risque est en effet connu dans ces situations de développer un syndrome de répétition traumatique ( syndrome psychotraumatique, « Post Traumatic Stress Disorder »..). Le traumatisme psychique est défini comme la rencontre dans l’effroi avec le réel de la mort ; il s’agit d’un véritable effet d’effraction du psychisme, d’ une « blessure » psychique. Après ce trauma peut s’installer une période de latence, d’une durée variable de quelques heures ou jours à des mois. Puis, s’installent des signes pathognomoniques: cauchemars, flash-back, sursauts de répétition, évitement des stimuli associés au trauma……, ainsi que d’autres
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