Mémoire et trauma [À lire]

Synthèse détaillée de la formation de Boris Cyrulnik, psychiatre, disponible sur le site web de formationspsy (H4 Éditions, partenaire de : Éducation & Famille - Université de Mons)

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[Extrait de la synthèse]

Introduction : La mémoire traumatique et la mémoire saine

Boris Cyrulnik débute en rappelant l'importance de définir les termes pour mieux comprendre le sujet de la mémoire traumatique. Il distingue la mémoire saine, qui évolue en fonction de notre âge et de notre contexte, de la mémoire traumatique, qui reste figée, ancrée dans un événement passé, souvent dramatique, et qui envahit notre espace mental de manière permanente et invasive.

La mémoire saine : une multiplicité de fonctions

Cyrulnik décrit différents types de mémoire saine. La mémoire procédurale est celle des compétences corporelles, comme faire du vélo ou skier, des capacités apprises sans conscience explicite. La mémoire épisodique, quant à elle, se rapproche de la narration : elle enregistre les événements sous forme de « scripts », comme des scènes de film. Enfin, la mémoire sémantique concerne les mots et les concepts, souvent sans image associée, rappelant des savoirs comme les performances scolaires sans souvenir visuel précis. Cyrulnik insiste sur le fait que ces différentes fonctions devraient être perçues comme « des mémoires » plutôt qu’une unique entité.

La mémoire traumatique : une fixation du malheur

La mémoire traumatique, en revanche, ne partage pas cette capacité d'évolution. Lorsqu'un individu subit un événement traumatique, l'image de ce drame se fixe et devient intrusive, imprégnant le quotidien et se manifestant en cauchemars. Cyrulnik souligne que cette mémoire traumatique prend en otage l’esprit de la personne, empêchant la métabolisation ou l’évolution naturelle de l'événement. Il critique également l’usage du terme « stress » pour désigner cette expérience, arguant que le « stress post-traumatique » ne traduit pas l’agonie psychologique vécue, contrairement au terme de « syndrome psychotraumatique » qui, selon lui, est plus approprié.

Trauma et traumatisme : une distinction essentielle

En référence à Anna Freud, Cyrulnik souligne l'importance de différencier le « trauma » du « traumatisme ». Le trauma représente le choc initial, le coup reçu, tandis que le traumatisme est la manière dont ce choc est perçu, interprété et intégré dans la vie de l'individu. Ce processus est influencé par le contexte de l’événement ainsi que par celui dans lequel la personne s'exprimera ultérieurement, ce qui modifie sa « représentation ».

L’ontogenèse de la mémoire : de la vie intra-utérine à la petite enfance

Cyrulnik explore le développement de la mémoire dès la période prénatale, citant des recherches montrant que les bébés reconnaissent la voix de leur mère grâce aux basses fréquences transmises dans l'utérus. Ce processus de familiarisation reflète déjà un phénomène de mémoire. Il évoque aussi des études démontrant que des traumas vécus par la mère durant la grossesse peuvent influencer la santé de l’enfant à naître, impactant même son développement cérébral. Les recherches menées par Shaul Harel ont montré que les enfants nés de mères stressées pendant la grossesse présentent des retards de croissance et des altérations cérébrales, prouvant l'importance d'une stabilité émotionnelle pour le bien-être du fœtus.

L’importance de la base de sécurité pour le développement de l’enfant

Enfin, Cyrulnik aborde le rôle crucial de la « niche affective » autour de l’enfant, qui influence fortement son développement. Un environnement sécure permet de compenser les effets de retard engendrés par des traumatismes antérieurs. L’enfant, comme une éponge sensorielle, absorbe les éléments de son environnement, et ce soutien affectif favorise la reprise d’un développement sain. Il cite, entre autres, la méthode « kangourou » utilisée en Colombie, où le contact physique avec la mère ou le père remplace la couveuse et offre à l’enfant une base de sécurité comparable à celle d’un dispositif médical, illustrant l'importance du lien physique et affectif pour une croissance optimale.

Cyrulnik conclut cette section en rappelant qu'un bébé, dès sa naissance, est fortement influencé par les bases de sécurité qui l'entourent. Dans les cas où la mère n'est pas présente ou disponible, un substitut maternel peut apporter ce soutien essentiel, montrant que l'humain est fondamentalement une « éponge affective » dont le développement dépend de la chaleur et de la sécurité de son entourage.

L’Épigénèse : l’Influence du Milieu sur l’Expression Génétique

Boris Cyrulnik introduit la notion d’épigénèse en expliquant comment le milieu façonne l’expression des gènes dès les premiers stades de développement. Contrairement aux croyances répandues à son époque étudiante, il souligne que le cerveau ne fonctionne pas isolé de son environnement. Pour illustrer cette idée, il cite Pierre Bustani, un neurobiologiste de renom, dont les recherches démontrent que l’expression des chromosomes varie selon les conditions du milieu. Cyrulnik compare le programme génétique à un alphabet, capable de produire des milliers de récits différents en fonction des stimuli environnants.

L’Impact de l’Isolement Sensoriel sur le Développement du Cerveau

Cyrulnik met en avant les effets destructeurs de l’isolement sensoriel sur le cerveau, notant qu’un manque de stimulation extérieure provoque rapidement une atrophie, en particulier au niveau de l’hippocampe et du cortex préfrontal. En cas d’isolement, comme dans les cellules de prison, cette dégénérescence se manifeste par une réduction des fonctions cognitives et une « lobotomie fonctionnelle », ce qui donne l’impression que le détenu « va mieux », alors qu’il est en fait en déclin. Cyrulnik mentionne également la « biologie de la solitude », qu’il préfère définir comme une absence de stimulation sensorielle, distinguant cette condition de celle de l’isolement volontaire des moines, par exemple, qui restent en communication mentale avec une figure divine.

Le Cortex Préfrontal et l’Anticipation : Comprendre le Sens de la Vie

L’impact de l’isolement sur le lobe préfrontal conduit à une diminution de la connectivité avec le système limbique, essentiel pour la mémoire et l’anticipation. Cyrulnik explique qu’une défaillance de cette connexion empêche la personne de donner du sens à sa vie, l’anticipation étant une fonction clé dans la structuration des expériences et des souvenirs. Il illustre ce point à travers un exemple quotidien : une scène banale où un adulte, entrant dans le salon, ne comprend pas pourquoi ses adolescents réagissent émotionnellement à une scène à l’écran. Sans la mémoire des événements précédents, l’adulte est incapable d’anticiper ce qui va suivre, ce qui le prive de la compréhension du drame que vivent ses enfants à ce moment précis.

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