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Les débriefings psychologiques avec les acteurs de l’urgence et les intervenants en situation d’exception

JIDV 2 (Tome 1, numéro 2 - Janvier 2003)   

Auteur

Psychologue-Psychothérapeute-Criminologue, Cliniques Universitaires St Luc, Louvain-en-Woluwé (Bruxelles, Belgique)

Résumé 

Désireux d’intervenir à titre préventif, mais aussi curatif auprès du personnel hospitalier, l’auteur présente ici un dispositif de soutien et d’accompagnement psychologique des équipes soignantes confrontées à des situations de stress aigu, dans le cadre de leur profession. L’indication préventive et thérapeutique du débriefing psychologique et les risques liés à sa systématisation font ici question. En effet, systématiser le débriefing psychologique reviendrait à le détourner de ses objectifs spécifiques et le transformer en moyen de régulation automatique déshumanisée. En revanche, l’indication en situation potentiellement traumatisante concoure au rétablissement du lien entre l’individu, le groupe et l’environnement. 

Mots-clés

DP – indications – indication préventive et thérapeutique – systématisation – contraintes institutionnelles

 

Introduction 

 

La réalité des troubles psychotraumatiques chez les professionnels qui exercent des métiers où l’urgence et l’imprévu font partie du quotidien, n’est plus à démontrer.  En effet, l’impact de ces interventions stressantes sur la santé et la santé mentale des professionnels est largement décrit dans la littérature internationale. Désireux d’intervenir à titre préventif, mais aussi curatif auprès des membres de notre hôpital, nous avons mis a jour un projet visant au soutien des équipes soignantes et à l’accompagnement psychologique des membres du personnel confrontés à des situations de stress aigu, dans le cadre de leur profession. Rencontrant d’emblée les demandes les plus hétéroclites, tant de la part des travailleurs que de leurs supérieurs hiérarchiques, les sollicitations furent rapidement nombreuses. Convaincus, par les formations psycho-sociales qu’ils avaient reçu, hantés par le spectre du désormais célèbre PTSD et fervents défenseurs du non-moins célèbre debriefing psychologique, certains s’accordaient à dire que l’activation de notre cellule s’imposait en toute heure auprès des pauvres professionnels confrontés quotidiennement à l’horreur de la maladie, de la souffrance et de la mort.  Mais, à l’analyse, ces demandes abordaient des problématiques extrêmement diverses, nécessitant des réponses différenciées.

Ainsi, se mélangeaient des aspects de prévention primaire, de prévention secondaire et de thérapeutique.  De même, la question de l’indication du debriefing psychologique et de sa systématisation se posait régulièrement, dans le chef des décideurs.

 

Confusion entre debriefing psychologique et autres modalités de rencontres

La première doléance concernait la nécessité, pour les professionnels soumis a des interventions particulièrement stressantes, d’obtenir la possibilité de souffler, de se détendre, alors que la cadence de travail le permettait rarement. Ces moments informels, qui suffisent dans la majorité des situations rencontrées, ne relèvent nullement de l’intervention spécialisée et n’ont pas de commune mesure avec le debriefing psychologique.  Ils sont l’expression de la gestion émotionnelle spontanée, interne à une équipe. 

D’autres pensaient que l’intervention professionnelle ferait double emploi avec leurs réunions hebdomadaires où les « cas » de la semaine sont passés en revue, de même qu’avec les debriefings techniques qui font suite à une intervention. Si l’abord de ces aspects techniques est fondamental au bon fonctionnement d’une équipe d’intervention, cela concerne davantage les niveaux de performances et d’amélioration de la qualité d’utilisation du matériel et du service rendu à la population, que le vécu émotionnel de l’intervenant. 

De même, l’analyse des demandes concernant une systématisation des procédures de debriefing psychologiques met souvent en lumière la volonté des équipes d’obtenir, en fait des temps de supervisions, programmés sur la durée et poursuivant des objectifs variés. Il s’agit alors d’obtenir un éclairage particulier à propos d’une situation rencontrée, ou d’affiner une méthode de travail, dans le cadre des supervisions cliniques; et d’aborder des problèmes de relations interpersonnelles, dans le cadre de supervision d’équipes (Meynckens, 1997).  Ici encore, si ce type de démarche a des indications précises, il se distingue clairement des objectifs poursuivis par le debriefing psychologique.  

De plus, ces différentes modalités de rencontres sont susceptibles de regrouper l’ensemble des travailleurs alors que le debriefing psychologique ne doit s’adresser qu’aux professionnels impliqués dans l’intervention dont il est question (Marshall, 1944; Mitchell, 1983). 

A ce titre, plutôt que de dire que le debriefing psychologique n’est pas ou ne devrait pas être tout ce qui précède, il faudrait sans-doute dire qu’il n’est pas ou ne devrait pas être seulement cela, puisque certains éléments précités peuvent constituer des étapes ou des moments du debriefing psychologique.

Distinction entre incident critique et trauma

Nous devons absolument faire la distinction entre stress et trauma. Avant d’aborder plus avant la question du debriefing des intervenants, il convient de s’entendre sur les termes d’incident critique et de trauma, dans le cadre de l’activité professionnelle. Tous deux sont facteurs de déstabilisation des équipes d’intervention, mais revêtent des caractéristiques qui les différencient. Ainsi, l’incident critique concerne toute intervention ou fragment d’intervention qui comporte, pour le professionnel, un caractère imprévu ou imprévisible, perturbant la bonne marche de l’intervention et augmentant ainsi le facteur stress. Il relève, hélas, pour l’intervenant de première ligne, de l’expérience courante et n’est pas systématiquement facteur de blessure psychique. 

Le traumatisme psychique, rappelons-le, est défini comme étant “la transmission d’un choc psychique exercé par des agents extérieurs sur le psychisme et y provoquant des désordres psychopathologiques” (Crocq, 1999).  Il est évident qu’il peut être rencontré par le professionnel, comme par le commun des mortels.  Mais, ici encore, nous sommes renvoyés à la difficulté de distinguer, a priori, ce qui est ou sera traumatique de ce qui ne l’est ou ne le sera pas, la différence essentielle se jouant au niveau de la blessure psychique résultante. Dès lors, il convient de nuancer le débat “systématisation versus non-systématisation” des procédures de debriefing psychologiques auprès des professionnels en s’accordant non pas sur ce qui est traumatique et ce qui ne l’est pas, sujet inépuisable et stérile eu égard de l’unicité du sujet humain et de la palette infinie des expériences possibles, mais plutôt en se demandant qui peut objectivement différencier a priori un incident critique d’un événement potentiellement traumatisant et donc, être à l’origine d’une demande de debriefing ? 

  

Qui peut décider de l’indication du debriefing psychologique au décours d’une intervention ?

 Premièrement, pour ce qui est du debriefing individuel, il nous semble que tout professionnel qui expérimente des difficultés à faire face sur le plan émotionnel et professionnel à une intervention à laquelle il a participé, devrait pouvoir, en son nom propre interpeller les professionnels compétents, sans avoir à passer par le biais de la hiérarchie. 

Au second plan, pour les debriefing de groupes, nous voyons les possibilités suivantes :  

1)   Tout groupe qui vit des difficultés émotionnelles et professionnelles à surmonter une intervention pénible, devrait être susceptible d’interpeller directement les membres de la cellule d’intervention ;

2)   Tout responsable de service, au vu tant de la réalité de l’intervention qui vient de se dérouler, qu’eu égard de l’ambiance dans l’équipe qui revient de l’intervention, le tout guidé par son expérience et sa connaissance du travail et de l’équipe qui travaille sous ses ordres. Au delà de la seule gravité des faits, c’est la lourdeur émotionnelle qui devrait guider le responsable à proposer qu’un debriefing soit organisé, quitte à ce que personne ne réponde à l’invitation d’y participer.  Cela implique une sensibilisation préalable, tant des responsables que des travailleurs, par rapport au bien fondé de ce type de démarche ;

3)   Si néanmoins, certaines lignes de conduites doivent être dégagées au sein d’un service, pour définir a priori les indications du debriefing psychologique, celles-ci devraient tenir compte des règles précitées (vécu subjectif et expérience) et éventuellement y ajouter des déterminants plus “objectifs” ou plus “généralisables”, dont les recherches publiées dans la littérature regorgent.  Citons, par exemple, les interventions au cours desquelles des enfants sont impliqués, celles qui concernent un nombre élevé de victimes (exemple : les plans catastrophes), ou encore celles au cours desquelles un collègue est tué ou blessé (cfr notamment Dyregrov, 1989; Hytten, 1989; Williams, 1993; .Brognon, 1998).

 Une fois le debriefing programmé, les professionnels impliqués dans l’intervention dont il est question et uniquement ceux-ci, sont conviés et non-pas convoqués à participer au debriefing, les auteurs (Mitchell ,1983, op.cit.; Crocq, 1999, op.cit.) postulant de scinder les groupes de debriefing au delà de 10 à 12 participants en conservant en tout cas un debriefeur intervenant et un debriefeur observant. 

 

Risques liés à la systématisation

 Ainsi, si le debriefing psychologique n’est pas ou pas seulement tout ce qui précède, il ne peut, dès lors, pas non plus être systématique, c’est-à-dire s’inscrire comme clôture automatique des diverses interventions réalisées au sein d’un service.   

En effet, les risques inhérents à la systématisaion des procédures de debriefing psychologiques après tout événement critique nous semblent être importants :

 1) Risque de routine, tant pour les debriefers que pour les participants, la systématisation abusive de ce type de rencontre tendant à désinvestir le point de vue émotionnel au profit du point de vue factuel, transformant rapidement le debriefing psychologique en debriefing seulement technique ; 

 2) La systématisation du debriefing psychologique après tout événement critique relève de l’illusion, voire de l’utopie en terme d’investissement, d’organisation et de bonne marche d’un service.  Imaginons qu’une brigade anti-agression d’un service de police ou qu’un service desservant l’aide médicale urgente organisent un debriefing psychologique après tout incident critique. Nous comprenons dans l’évidence que le temps et l’énergie investie dans le groupe de debriefing dépasserait rapidement le temps accordé aux interventions elles-mêmes. Pareille stratégie ne relèverait plus de la prévention secondaire mais de l’évitement phobique !  Gageons qu’au delà de la lourdeur extrême et du risque de routine précité, aucun employeur n’avaliserait un tel programme et aucun professionnel n’y participerait ;

 3) Un autre risque serait d’impliquer au fur et a mesure le debriefer dans la dynamique du groupe participant et ce, que l’on parle en terme de sensibilisation, de contre-transfert ou d’auto-référence.  En effet, il est d’usage que les debriefers soient les seuls membres du groupe à ne pas avoir été impliqués dans l’événement potentiellement traumatique, même de manière vicariante, avant le début de la séance. Si le debriefer devient un collègue de tous les instants, impliqué dans la vie du groupe de par l’attente de l’intervention suivante qui provoquera automatiquement l’organisation d’un debriefing, il devient par là même un impliqué, au même titre que les collègues qui n’ont pas participé à l’intervention, au même titre que les familles des impliqués directs, au même titre que les témoins, ... ;

 4) En outre, la systématisation tend à ne plus pouvoir distinguer ce qui est routinier de ce qui est exceptionnel. Ainsi, un guide du debriefer, édité en 1993 par l’armée américaine, comparait le rôle préventif du debriefing psychologique au nettoyage systématique d’une mitraillette après le combat, disant : “son esprit est un peu grippé, on nettoie un peu et ça repart”. De même, il existe un risque réel de non-reconnaissance par les supérieurs hiérarchiques et même les collègues du caractère exceptionnel de ce que vivent, dans l’instant, les professionnels qui rentrent de mission.  Or, il n’est pas utile de réinsister ici sur l’importance de la reconnaissance et du soutien que peuvent apporter d’autres professionnels dans des moments critiques, ce sujet faisant largement consensus dans la communauté internationale ;

 5) Enfin, la systématisation mettrait, sans aucun doute, de l’eau au moulin de la confusion entre le debriefing psychologique et tous les autres types de rencontre d’équipe énumérées au début de ce chapitre.

  

Intérêts d’analyser l’indication, plutôt que de systématiser

 Nous postulons qu’un debriefing psychologique soigneusement préparé, dans le respect des indications précitées :

 - peut approcher, pour les professionnels qui y participent, l’émotionnel et pas seulement le technique, le vécu subjectif et pas seulement la réalité factuelle, les ressources résiduelles et pas seulement les pertes, seuls gages de la réappropriation par l’individu, au sein du groupe, de son histoire, en tant qu’humain, mais aussi en tant que collègue, de par ce qui constitue son expérience propre et son expérience relationnelle.  C’est, à notre sens, la seule manière pour que la catharsis soit non-seulement libératrice, mais aussi constructive. Citant Crocq (1999), nous dirions que “notre recommandation n’est pas de ne parler que des émotions, mais de laisser le sujet s’épancher de ce qui le presse, et de faire part ainsi de son expérience vécuedans le désordre, mêlant aux éprouvés affectifs, les sensations, les visions et les pensées”.

 - peut permettre aux participants et aux debriefers d’aborder le ou les séances organisées avec le sérieux et la rigueur nécessaires.

 - peut s’intégrer dans des contraintes institutionnelles, ne serait-ce qu’en terme de rentabilité (faible coûts, bénéfices importants), mais aussi en terme de “culture d’entreprise”, de procédure reconnue et avalisée.

 - peut permettre au groupe, aux supérieurs et à l’entourage de faire reconnaître leur volonté de pointer le sérieux de la situation qui vient d’être vécue, en permettant aux participants de mettre des mots là où il n’y avait qu’effroi, impuissance, culpabilité et désillusion, afin de permettre à des acteurs du travail d’intervention de ne pas devenir des victimes du travail d’intervention; afin de les aider à intégrer que devant l’adversité à laquelle ils se confrontent régulièrement, il existe un sous-système (le groupe) et un autre sous-système plus large (l’institution) qui se donnent ensemble un maximum de chance de fonctionner le plus en harmonie possible, en terme de qualité, de continuité et de complémentarité, sans pour autant que le debriefing psychologique ne devienne un moyen de régulation automatique déshumanisé.

  

Conclusion  

Dans cette optique, l’on tend à favoriser la reprise de contact entre l’individu , le groupe et l’environnement, en passant par le réaccordement de la dissonance entre le temps chronologique et le temps vécu; par la reprise des activités interrompues par l’événement; par l’assurance de son statut d’être vivant en relation qui a, certes vécu une chose terrible, mais qui continue à être à côté de cela autre chose qu’une victime à plaindre, autre chose qu’un malade à soigner, mais aussi autre chose qu’un objet trop rempli, qu’il suffit de vider de son contenu, par le simple récit, pour le rendre à nouveau utilisable.

Systématiser le debriefing psychologique, c’est le détruire en lui ôtant sa spécificité en lien à des événements traumatiques. C’est transformer un outil scientifique bien rôdé et utilisé par des cliniciens assidus, en un petit instrument émoussé que chacun pourrait utiliser ou consommer sans lire le mode d’emploi ou en le lisant de tellement près que le regard critique du clinicien n’aurait plus sa place et que la forme prendrait davantage d’importance que le fond (Vermeiren, 2001).

Références

Brognon, P. (1998). « Le deuil du soignant face à la mort de l’enfant », Louvain Médical, 117. 

Crocq, L. (1999).   Les traumatismes psychiques de guerre, Editions Odile Jacob. 

Dyregrov, A. (1989).  « Caring for helpers in disaster situation : psychological debriefing », Disaster management, 2, 1. 

Hytten, K. (1989).  “Helicopter crash in water, effects of simulator escape training”, Acta Psychiatrica Scandinavica, 355, 80. 

Marshall, S.L.A. (1944). Island victory, Penguin Books, New-York. 

Meynckens, 1997 

Mitchell, J.T. (1983).  “When disaster strikes : the critical incident stress debriefing process”, AM. J. Emerg. Serv., 8. 

Vermeiren, E. (2001).  « Le debriefing des intervenants », in De Clercq, M. et Lebigot, F. « Les traumatismes psychiques », Masson. 

Williams, T. (1993).  « Trauma in the workplace », in Wilson J.P. et Raphael, B. International handbook of traumatic stress syndromes, Plenum Press, New-York.

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