JIDV 2 (Tome 1, numéro 2 - Janvier 2003)
Auteur
Psychologue clinicienne, Service Départemental d’Incendie et de Secours de la Gironde (SDIS 33), Bordeaux, France.Résumé
Laurence AUVERT nous fait part ici de son expérience professionnelle de psychologue sapeur-pompier au sein du Service Départemental d’Incendie et de Secours de la Gironde (33), en France. Elle nous expose dans son article le travail qu’elle effectue auprès des sapeurs-pompiers et la gestion des risques psychotraumatiques avant, pendant et après les interventions fortement traumatogène.
Mots-clés
Expérience, Psychologue, sapeurs-pompiers, psychotraumatisme, intégration.
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l’heure où l’image du sapeur-pompier oscille entre celle d’un nouvel héros urbain et celle, moins populaire et moins médiatique, d’un homme à tout faire, se pose la question de la réalité des risques psychologiques d’une profession dont la cuirasse n’est pas si invulnérable. De plus en plus nombreux sont aujourd’hui les psychologues à faire entendre leur voix au sein des Services Départementaux d’Incendie et de Secours (SDIS) et à développer un espace d’expression et d’écoute pour des hommes souvent malmenés par des missions hors du commun. Reconnus depuis peu comme « experts » auprès des corps de sapeurs-pompiers, les psychologues construisent progressivement des démarches d’intégration singulières.
Associée au service médical du SDIS de la Gironde en Novembre 1997 pour des missions ponctuelles de « psychologue – volontaire » (accompagnement des pompiers traumatisés lors de catastrophes de grande ampleur, telles que l’accident de train de Port-Sainte-Foy ou l’explosion des silos de Blaye), de plus en plus nombreuses furent les demandes d’aide et les sollicitations de la psychologue. De la demande institutionnelle d’aide à l’évaluation de l’aptitude (calquée sur le SIGYCOP militaire) aux debriefings des équipes choquées, en passant par les formations sur le stress opérationnel et la prévention de l’alcoolisme, les missions développées aujourd’hui consacrent une place à part entière à la psychologie dans le milieu sapeur-pompier. L’élaboration de ces fonctions a été progressive et associée à une maturation conjointe du milieu. La disponibilité, l’écoute discrète et attentive des problématiques spécifiques des pompiers, la prise en compte d’un discours défensif non négligeable ont permis la mise en place d’un cadre particulier.
La résistance principale de l’institution à l’introduction d’une démarche d’accompagnement psychologique, correspond à l’inhérente prise en compte de la souffrance individuelle, avec de façon sous-jacente une crainte menaçante de dévirilisation et de fragilisation : comme si donner la parole aux âmes blessées menaçait l’illusion de toute-puissance d’un corps malmené par l’évolution de la société. La mise en lumière de l’individu et de ses limites permet l’élaboration de nouveaux outils pour contenir l’intégrité psychique individuelle, groupale mais elle pointe dans le même temps les ambiguïtés d’un système. Secourir son prochain, assurer sa sécurité, met en jeu la propre sécurité interne du pompier qui doit trouver, en écho à ses difficultés, étayage et non plus dénégation.
Mais quand aujourd’hui le soutien social, « l’esprit de corps », semble faillir à supporter la douleur individuelle et que les attaques d’un milieu (urbain, notamment) se font de plus en plus hostiles (et dans le même temps la « société » de moins en moins reconnaissante), les sapeurs-pompiers ont pour mission de consolider leur système interne de protection.
Le psychologue « institutionnalisé » entre ainsi de plein droit, pour penser et comprendre les systèmes de contraintes (relations hiérarchisées et communication verticale) tout en appréhendant les risques extérieurs :
- risques inhérents aux missions : risques directs correspondant à des blessures ou accidents graves lors des interventions dangereuses (type incendie ou milieu périlleux) ou risques indirects liés à la confrontation à la mort (type accident de la route),
- mais également des risques très impliquant au niveau individuel, lors notamment des situations d’agression de sapeurs-pompiers en service où, en plus de l’attaque de leur intégrité physique, s’ajoute l’attaque de leur identité propre et de leurs valeurs.
C’est ainsi qu’apparaît et que s’élabore le concept de psychotraumatisme chez les sauveteurs, non comme une fatalité ou pire encore, mais comme un risque défini. Si la formation des sapeurs-pompiers leur permet de gérer l’urgence des douleurs physiques et si leur entraînement leur confère une efficacité certaine sur le terrain, il n’en va pas de même pour la gestion psychologique de « l’après ».
Lors d’une intervention, l’expression d’un choc psychotraumatique est en effet souvent contenue par le recours à l’action : « programmés », « automatisés » dans leurs schémas d’intervention, il y a généralement peu de place pour la pensée dans le « feu » de l’action et les sapeurs-pompiers ne sont que rarement confrontés à l’effroi. Il n’en est pas de même lorsque, de retour à la caserne, les visages se figent et les esprits s’affolent. Globalement, les pompiers reconnaissent volontiers (pour peu qu’on les y invite) avoir encaissé des « coups durs », sans nécessairement savoir qu’ils pouvaient s’y préparer et qu’il existait des solutions pour les gérer.
Le travail préventif et l’accompagnement actif sont nécessaires voire indispensables pour éviter des conséquences parfois lourdes sur des vies et des carrières (perte d’intérêt, répercussions familiales, exclusion, alcoolisme, dépression, suicide … ). Il s’agit dans un premier temps de sensibiliser les sapeurs-pompiers (volontaires et professionnels) par des formations, des réunions, des rencontres informelles … Cette démarche, bien que coûteuse en temps et en énergie, est un préalable et un continuum nécessaire à une « incorporation » institutionnelle maximale.
Il s’agit dans un second temps d’élaborer les outils psychologiques adaptés à la spécificité et à la temporalité du champ :
- un temps de l’urgence où le psychologue a une fonction de contenance empathique face à la déstructuration psychique conséquente d’un événement stressant, angoissant, voire traumatique (procédure de « defusing »)
- un temps de l’élaboration, de la reconnaissance du trauma (« debriefing »), parfois en discordance avec le temps de l’institution.
Le psychologue est par conséquent dans l’obligation de penser sa place de manière active : s’il se positionne souvent en marge, garant d’un espace transitionnel, il est par ailleurs porteur d’un discours novateur à relayer vers toutes les strates de l’institution.