JIDV 2 (Tome 1, numéro 2 - Janvier 2003)
Auteur
Docteur en Médecine, Praticien Hospitalier Urgentiste, SAMU 35Résumé
La croissance perpétuelle des actes de terrorisme et notamment des prises d'otages depuis le début des années 70, nous a conduits à étudier l'adaptation psychologique des victimes. Après avoir défini la terminologie et traité des données sociologiques, nous nous sommes intéressés aux différents types de prises d'otages. Subissant un choc émotionnel intense lors de la capture, puis une séquestration de durée variable, avec, dans tous les cas, une dépersonnalisation imposée, les otages présentent une série de mécanismes d'adaptation physio-psychologiques. Ritualisation des actes et souvent schémas paradoxaux de comportement permettent à l'esprit d'atteindre une stabilité partielle nécessaire à la survie. Dans les suites d'une étude bibliographique de ces stades d'évolution, nous avons réalisé une enquête personnelle auprès de trente ex-otages par l'intermédiaire d'entretiens et d'un questionnaire semi-fermé. Les résultats de ce travail ont permis de constater, certes l'existence de complications notamment la sensation d'un manque d'écoute, mais aussi l'émergence de conséquences positives. Elles pourraient être favorisées par une prise en charge précoce des victimes.
Mots-clés
Terrorisme ; Prises d'otages ; Stress ; Adaptation psychologique
INTRODUCTION
" Je parle aujourd'hui sans haine. Mais le public qui a vu pendant plus de 1000 jours, le portrait des otages français à la télévision, ont le droit de savoir quel calvaire endurent les innocents emprisonnés au Liban. Face aux états, l'opinion demeure en effet le garant de leur liberté ; c'est elle qui jugera les hommes torturant d'autres hommes au nom d'un idéal.
Je comprends les peuples qui luttent pour leur dignité. Mais quelle que soit la cause, aussi noble soit-elle, que ces peuples estiment défendre jusqu'au sang, la prise d'otages reste un acte d'une lâcheté impardonnable condamné par la communauté internationale.
Je ne pense pas souffrir du syndrome de STOCKHOLM. Entre moi et mes ravisseurs, il n'y a jamais eu de complicité inconsciente ni de compréhension mutuelle. Aussi mon témoignage est-il sans fioriture. Je n'ai édulcoré aucun détail qui pourrait minimiser leur responsabilité ...
...Puisse mon récit faire comprendre aux geôliers du Liban la profonde détresse des êtres humains qu'ils détiennent, mais surtout que la barbarie de ces actes dessert la cause qu'ils ont choisi de servir."
Ces quelques lignes sont empruntées à Roger AUQUES dans l'avant-propos du livre "Un otage à Beyrouth" écrit en collaboration avec P.Forestier à propos de sa captivité de 319 jours dans l'univers souterrain des morts-vivants de la guerre du LIBAN.
Né de témoignages lus, puis de rencontres passionnantes, ce travail permettra, nous le souhaitons, de garder à l'esprit que même si les projecteurs de l'actualité se sont éteints, ces ex-otages poursuivent leur existence et tentent, avec plus ou moins de réussite selon les cas, de retrouver les repères de leur vie antérieure. Ils ont tous été à notre égard d'une patience et d'une disponibilité sans limite, nous montrant que l'écoute et la communication sont des privilèges dont l'Homme ne doit pas se priver. Il apparaît d'ailleurs que les prises d'otages sont souvent le résultat d'un manque de relations inter-humaines, mal vécu par une minorité d'individus qui ne trouvent pas d'autres solutions pour rétablir le dialogue. Sans chercher aucune excuse à leur agissement, il nous est apparu important d'exposer les conséquences de tels actes en espérant que de cette lecture fera réfléchir chacun d'entre nous à la question : " Comment éviter ces solutions extrêmes ? "
Après un indispensable rappel de quelques définitions sur la terminologie du sujet, nous nous interrogerons en détail sur les buts recherchés par les ravisseurs.
Par la suite, nous aborderons les aspects sociologiques de la question et les particularismes des prises d'otages par opposition à d'autres formes de violence. Nous en présenterons les différents types en fonction de la nature et des motifs des kidnappeurs car il apparaît que les conséquences futures pour les victimes sont étroitement liées à ces considérations.
Les stades d'adaptation pendant la détention, selon l'étude bibliographique d'auteurs et d'experts reconnus sur le sujet, nous permettront d'étudier par quelles étapes passent les victimes, tout aussi bien sur le plan physique que psychique. Le chapitre suivant concerne le devenir psychologique après la séquestration, il sera notamment question de tous les troubles induits, des méthodes de défense psychique, de la réintégration familiale et sociale et des réactions positives à la captivité. Puis nous illustrerons le travail par notre étude personnelle concernant trente victimes de trois types différents de prises d'otages. Basée sur des entretiens et un questionnaire standardisé que nous avons établi, elle nous donne une image de l'adaptation à ce type d'événement extrême pendant son déroulement et à distance.
Définitions
Largement employés par tous les médias et entendus chaque jour de l'année par le grand public à la radio, la télévision ou lus dans la grande presse, ces mots ont au fil du temps perdu de leur sens propre, de leur puissance dramatique pour finalement appartenir à notre quotidien.
Pour une meilleure adhésion au sujet de cet exposé, il convient donc de les replacer dans leur contexte précis et de leur redonner toute leur signification. Les définitions ci-dessous sont issues du "PETIT ROBERT, DICTIONNAIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE" :
-DETOURNEMENT : Action de contraindre l'équipage d'un avion à changer de destination. "Le droit international ignore la piraterie aérienne. Les organisations internationales parlent de détournement illicite d'aéronef." (LE MONDE 12-09-70)
-ENLEVEMENT : Action de soustraire une ou plusieurs personnes à leur propre liberté ou à l'autorité qui en a la charge. Fait d'ôter un sujet de la place où il se trouve en lui faisant perdre son identité.
-KIDNAPPER : 1930 Étymologiquement de KID (enfant) et TO NAP (saisir), traduit de l'américain et accepter dans la langue française. Enlever une personne en général pour en tirer une rançon.
-OTAGE : Provient de l'ancien mot OSTAGE (1080), issu de OSTE "hôte", les otages étaient d'abord logés chez le souverain, personne livrée ou reçue comme garantie de l'exécution d'une promesse, d'un traité politique ou militaire. Actuellement, personne que l'on arrête et l'on détient pour obtenir ce que l'on exige. "Ils avaient instaurés un système de représailles...pour chaque membre de la Reichswehr abattu, ils fusilleraient un certain nombre d'otages" (BEAUVOIR). Hold-up avec prise d'otages pour tenter de garantir la liberté des malfaiteurs.
-RAVISSEUR : (Ravissiere, 1216 ; de RAVIR). Personne qui prend par la violence, la ruse, ou la surprise ce qui appartient à autrui y compris sa propre liberté.
-TERRORISME : Historiquement, mot employé dans la période qui suivit la chute de Robespierre pour désigner la politique de terreur des années 1793-1794. Actuellement signifie l'emploi systématique de mesures d'exceptions, de la violence pour atteindre un but politique (prise, conservation, exercice du pouvoir ... et plus particulièrement l'ensemble des actes de violence (attentats collectifs ou individuels, prises d'otages) qu'une organisation politique ou criminelle exécute pour impressionner la population ou un état et créer un climat d'insécurité.
Buts recherchés lors d'une prise d'otages
Pour reprendre brièvement la définition ci-dessus, l' "ostage" antique n'existait, en tant que tel, que comme symbole du respect d'une promesse entre deux ou plusieurs parties. Il était donc respecté, nourri et choyé par ceux qui en avaient la garde et devait être restitué dans la meilleure santé possible lorsque le contrat aboutissait à son terme. Vivant dans la demeure du souverain, d'un statut clairement défini et sans mystère, il ne pouvait craindre pour sa vie ou sa santé que lorsque ses alliés ne respectaient pas les promesses établies. Dans l'attente du terme de cette affaire, il ne subissait, en général, aucun stress, aucune privation physique ou morale allant parfois même jusqu'à connaître de meilleures conditions de vie que d'habitude.
Au cours de notre ère que l'on qualifie de moderne, la conception d'otage, apparue au XIX° siècle, a totalement changé. L'émergence des thèses nihilistes et marxistes à cette époque font apparaître les premiers actes terroristes, parfois d'état, avec également pendant la guerre de 1870 les premières prises d'otage au sens actuel, c'est-à-dire la retenue coercitive, parfois par l'armée ou la police de pays envahisseurs, d'êtres humains impliqués directement dans le conflit considéré. (1)
Ce concept est d'ailleurs exploité par le législateur français qui, dans la loi du 09/07/1971, condamne l'acte de mainmise coercitive sur une ou plusieurs personnes, privées ainsi de liberté, menacées explicitement ou implicitement soit de mort, soit de violences graves, soit d'une séquestration indéterminée. L'auteur de tels faits, désirant ainsi contraindre soit un tiers, soit l'autorité publique à faire ou à ne pas faire un ou plusieurs actes, est passible de la réclusion criminelle à perpétuité.
Divergeant complètement de son statut initial, l'otage devient ainsi un moyen de pression effroyable dans une méthode de combat nouveau pour accéder à un dialogue ou à des exigences que certains individus revendiquent. De personne humaine, il devient alors une simple marchandise qu'il n'est même plus forcément nécessaire de restituer à la fin, le plongeant ainsi dans un doute perpétuel quant à son espérance et ses conditions de vie. Chacune des parties adverses l'investit d'un rôle immense, mais un rôle-objet auquel il ne peut assister qu'en spectateur en attendant le dénouement, ceci quelques soient les caractéristiques de la prise d'otages.
La démarche intellectuelle terroriste a su choisir le plus souvent celui dont la capture allait bouleverser l'opinion publique, et donc mobiliser les médias : l'innocent ; permettant ainsi d'accéder en un minimum de temps à l'interlocuteur hiérarchiquement le plus haut placé, le facteur-temps ne jouant pas forcément en faveur des ravisseurs comme nous le verrons dans certaines affaires maintenant célèbres.
Il ne faut en effet pas oublier que dans la plupart des cas le but recherché est bien précis : pécunier, idéologique, recherche de la liberté, vengeance, etc...ne pouvant donc être atteint sans dialogue avec l'autorité compétente.
A part, nous pouvons évoquer les prises d'otages gratuites, sans vrai but ni raison, qui sont le plus souvent à mettre sur le compte de problèmes psychiatriques graves, tout en sachant alors que les choses seront rendues pour tout le monde beaucoup plus difficiles car comment atteindre et raisonner un esprit qui ne sait pas forcément lui-même pourquoi il agit ainsi. Dans ce contexte, rien ne sera épargné ni aux victimes, ni aux négociateurs, ni quelques fois au ravisseur pourtant loin d'être responsable de tous ses agissements et qui relèverait plus de la médecine psychiatrique que d'actions dont la violence est parfois fatale.
Aspects sociologiques
Si l'origine des prises d'otages remonte à des temps anciens, leur croissance en revanche suit une courbe exponentielle depuis le début des années 1970. Ce phénomène coïncide avec l'émergence dans les pays occidentaux d'une nécessité de liberté accrue, tout aussi bien au niveau individuel que groupal. Devant s'adapter, la société jusque là très protectrice a du lever des barrières, réalisant à la fois le lit du progrès futur et celui de comportements excessifs qui, sous prétexte de recherches d'une plus grande indépendance, n'hésitent pas à bafouer la liberté de chacun. En effet, alors même que l'avancé sociale, politique et économique est établie, on note la perte de valeurs indispensables à la cohésion du groupe humain (respect des lois, des institutions, de l'état), permettant ainsi à certains, dont l'expression ne peut passer que par la violence, de jouer sur un schéma d'insécurité pour aboutir à leurs fins. La venue au premier plan des organisations terroristes ne pouvait alors plus être évitée, n'épargnant plus aucun moment de notre vie quotidienne (2,3) :
- Tourisme : détournements d'avions, affaire de l'Aquille Lauro ...
- Sports : Jeux Olympiques de Munich en 1974
- Industrie : enlèvement du Baron Empain, de Patricia Hearst ...
Poursuivant notre étude sociologique, la plus grande tolérance policière des années 70 induisit une croissance des prises d'otages, mais ne permet pas d'expliquer, à elle seule, l'efficacité de ce mode d'action. Mise à part quelques exceptions, nous le verrons, où l'acte est plus ou moins gratuit et sans fondement, les ravisseurs poursuivent un but précis ; or celui-ci ne peut être atteint sans un certain nombre de facteurs co-intervenants :
- nécessité de moyens : · avec le progrès des contrôles dans les aéroports, il devenait indispensable de trouver des armes en matière indétectable ; elles sont d'ailleurs parfois, comble de l'ironie, fabriquées par les pays futures victimes du terrorisme.
· au niveau des transports et des moyens de communication où les forces de police et les groupes armés doivent rivaliser de rapidité et de sécurité.
- nécessité d'audience : il ne suffit pas de prendre des otages pour faire avancer une cause ou pour obtenir une rançon, il faut aussi que l'opinion publique soit prévenue à chaque instant des événements, participant ainsi à la pression qui s'exerce sur les dirigeants des négociations. Ici intervient un nouveau facteur sociologique des prises d'otages : au delà de l'acte violent qui est un moyen, le but recherché est l'obtention d'un dialogue ; celui-ci n'existe plus entre la minorité qui agit ainsi et le reste du monde. Fait de société ou volonté inconsciente de rupture (4), il n'en reste pas moins que le lien se rétablit dans la violence, ceci par un troisième intermédiaire, plus ou moins victime de ses fonctions : les médias. Leur devoir d'information devient une arme supplémentaire dans le camp terroriste puisque sans eux, le monde ignorerait tout de ces actes et plus aucune pression ne serait possible sur l'opinion publique. Bien évidemment, on ne peut concevoir de nos jours une civilisation sans médias garants le plus souvent d'un grand nombre de liberté. Nous nous trouvons donc ici confrontés à un mal indispensable qui d'ailleurs interviendra directement dans les conséquences psychiatriques des prises d'otages. De duel (otages-ravisseurs), la relation devient triangulaire (otages-ravisseurs-reste du monde) (5,4), chaque partie intervenant directement et définitivement sur la vie des autres pendant et après les événements.
Loin du désir de condamner les médias à un silence forcé sous prétexte de ne plus faire de "publicité" aux terroristes, ceci ne devant d'ailleurs à notre avis aboutir qu'à une expression plus rapide de la violence, il leur appartient en fait l'obligation de replacer chaque chose dans son contexte et de ne pas simplement relater des faits qui pourraient être mal interprétés, augmentant ainsi les risques de récidives, mais d'analyser dans leur globalité les moyens employés et les buts recherchés pour obtenir une information "grand public", à la portée de tous, qui permettrait à la longue de renouer un dialogue aujourd'hui disparu avec certaines minorités prévenant ainsi la survenue de nombreux actes terroristes.
Stades d'adaptation psychologique
Indispensable à l'étude des conséquences psychopathologiques des victimes et à la mise en place d'une prévention et d'une thérapeutique efficaces, ce chapitre nous amène à considérer par quelles phases passe le stress au cours de la prise d'otages. De nombreux auteurs (6,7), appartenant essentiellement à la médecine militaire, se sont penchés sur la question et après des entretiens avec d'anciens otages et prisonniers de guerre sont arrivés à établir une évolution selon des stades précis associant psychologie et physiologie, l'un intervenant sur l'autre et inversement. Cette évolution, dans le cadre du Syndrome Général d'Adaptation (G.A.S), fonde les bases de l'étiopathogénie à venir après la libération ; nous pouvons grâce aux descriptions de SELYE en 1936 (8,9), décrire les choses de la façon suivante : la privation brutale de liberté avec danger de mort imminente est une mise en situation de stress au sens large. Pour Hans SELYE, "la notion de stress se base sur les phases d'alarme, de résistance et d'épuisement d'un organisme qui se trouve dans une situation d'adaptation". La réaction normale doit être double : physiologique et psychologique.
Réaction physiologique (9)
Il existe un rythme et des phases définis dans la réaction du corps humain devant l'agression. Initialement, avant les études de Selye, il était généralement admis que le corps et l'esprit étaient liés pour passer d'un stade de tranquillité à un stade prêt pour l'action face à une situation de stress. Mais, après des expériences plus poussées, mesurant les aspects psychologiques et physiologiques, le décalage des mécanismes de réponse est apparu clairement. La phase I du Syndrome Général d'Adaptation est appelé ALARME. La résistance initiale du corps est nulle (choc primitif) puis, au fur et à mesure apparaissent les mécanismes de défense physiologiques.
On aboutit alors au stade II RESISTANCE, moment fort de l'adaptation au stress ; les réactions cardiaques et nerveuses sont en voie de diminution mais les glandes endocrines travaillent au maximum. Si toutefois l'exposition aux phénomènes de tension devient excessive en durée ou en intensité, on aboutit au stade III ultime du G.A.S : l'EPUISEMENT. Le système de réaction et d'adaptation au stress est très complexe mais la composante des transformations de l'esprit par le corps donnait un espoir pour les négociations. On a en effet espéré qu'en jouant sur l'alimentation, l'hydratation, l'éclairage des otages mais aussi des ravisseurs qui sont soumis à un stress pratiquement identique (risque de mort à chaque instant), on pourrait amener plus rapidement ces derniers au stade d'épuisement. Espoir vain puisque, par altération des capacités du système nerveux central, le système nerveux végétatif et les réactions viscérales prenaient le dessus, amenant les preneurs d'otages à un niveau de réactions instinctives et donc dangereuses.
D'un point de vue endocrinologique, l'effecteur central est le cortex qui par l'intermédiaire de l'hypothalamus, de la post-hypophyse, de l'antéhypophyse, et des glandes surrénales va, grâce à l'ACTH, l'adrénaline, la noradrénaline, la vasopressine et les corticoïdes, agir à différents niveaux de l'organisme pour adapter les systèmes de survie (ventilation, circulation, etc).
On comprend que chaque individu n'intégrera pas la même agression de façon identique à son voisin puisqu'il est forcément diffèrent d'un point de vue physiologique. Les conséquences futures seront donc, elles aussi, propres à chacun.
Les antécédents personnels et familiaux somatiques trouveront une importance dans l'étude du devenir des otages en dehors de toutes considérations psychologiques, prouvant une fois de plus qu'il est difficile de comprendre l'esprit de l'homme, sans connaître le fonctionnement de son corps.
Réactions psychologiques
A ce niveau, un stimulus donné est ressenti comme une agression par le sujet, point de départ indispensable à l'apparition du stress. La mort imminente étant redoutée, la victime polarise son attention sur la menace, suspendant toutes ses autres activités mentales et physiques en cours, pour pouvoir élaborer la réponse la plus adaptée possible : défense physique, fuite ou retour archaïque à une immobilisation totale pour, tel un animal pourchassé, se fondre dans l'environnement et ne plus apparaître comme une proie.
Dans les études réalisées jusqu'à ce jour, notamment celle de G.PELSMAKERS (10), le stress chez les victimes et les ravisseurs suit des chemins parallèles légèrement décalés.
Première phase : Excitation intense
Elle est brève et correspond à la capture. Ravisseurs et otages sont dans une situation critique car la tension atteint son paroxysme. Il existe une menace physique réelle des uns par les autres mais, à l'inverse, les attaquants ignorent tout des réactions des victimes et sont prêts à tout pour les contrer. Pour ces derniers, tout dépend des caractéristiques de la violence déployée, de la sensation de mort imminente, de la préparation personnelle éventuelle face à de tels actes et du contexte isolé ou en groupe.
Déshumanisés, intellectuellement paralysés, l'instinct de survie prend le dessus sur tout l'apprentissage antérieur.
A ce moment, trois réponses peuvent se voir :
-Tentative de fuite ou de maîtrise de l'agresseur (réponse paranoïaque) qui font courir les risques les plus importants à l'assemblée car la réaction adverse sera, elle aussi, instinctuelle mais les armes sont de son côté.
-Cris, agitation, angoisse, troubles organiques à type de diarrhées, évanouissement, asthme, infarctus qui participent à la réponse hystérophobique psychosomatique.
-Sidération et soumission
Lors de ces deux derniers cas, la réponse est en fait un déni de la situation avec sentiment d'irréalité, d'assister en spectateur aux événements et même si la fuite devenait possible, rien ne serait tenté.
Deuxième phase : Séquestration
D'une durée en général supérieure à la précédente, elle permet l'installation d'une certaine stabilité dans les événements. Pour les ravisseurs, le calme relatif est possible tout en restant à un niveau de vigilance supérieur à la normal ; ils pensent avoir la situation sous contrôle et peuvent alors prendre leurs marques et leurs repères dans des lieux, souvent clos, qu'ils ne connaissent pas forcément. Du côté des otages, deux voies sont possibles :
-Soit ils persistent dans le déni de la situation, prostration ou sommeil leur permettant d'échapper aux stimuli dont ils n'ont décidément pas le contrôle.
-Soit ils recherchent une position émotionnelle plus stable et, tout en restant eux aussi plus vigilants que d'habitude, prennent des repères spatio-temporels. Dans ce cas, tout débute par l'idée que la situation, de toutes façons, ne durera pas plus de quelques minutes. S'il n'en est rien, les phénomènes d'adaptation se poursuivent par des activités que l'on peut qualifier d'obsessionnelles (examen minutieux de la pièce, du plafond , des visages de chacun, etc ...) et de ruminations mentales ( examen de son propre passé, doute sur toutes les choses enseignées depuis l'enfance : morale, religion, patriotisme, respect de l'ordre ) (11). Pour d'autres, le versant dépressif sera prédominant avec culpabilité d'avoir été pris en otage, inquiétude par rapport à l'entourage qui attend.
Parallèlement, les otages vont rapidement s'apercevoir qu'ils dépendent entièrement de leurs ravisseurs : non seulement leur vie est liée directement à ceux-ci mais il en est de même pour chaque geste de la vie quotidienne. Impossible de parler, de manger, de boire, de bouger, de satisfaire ses besoins naturels sans autorisation préalable. Il s'agit ici d'une régression au stade infantile où chaque être humain dépend pleinement de ses parents et de sa mère le plus souvent. Cette notion fondamentale permettra de mieux comprendre plus loin, les possibilités de schémas paradoxaux du comportement des otages.
A ce stade de sa démarche intellectuelle, le sujet captif n'a plus que deux solutions :
-FUIR
-POURSUIVRE SON ADAPTATION
· La fuite, si elle est rarement possible ne sera que peu tentée ; même si les conditions favorables se réunissent un court instant, l'otage devant très rapidement revenir à un état de vigilance extrême pour réussir, restera inhibé par le doute, la peur et la fascination pour une situation dont il désire inconsciemment connaître l'évolution.
· La poursuite de l'adaptation passe par l'écoute des conversations entre les protagonistes alliés ou ennemis, certains otages étant même parfois amener à en critiquer d'autres trop agressifs ou inversement trop amicaux avec les ravisseurs. Le désir de séduction existe donc réellement pour tenter de se protéger des violences futures toujours possibles (exécutions, viols).
Poussé par lui-même dans ce raisonnement, et en se souvenant que les valeurs anciennes sont facilement remises en question dans ce contexte, on imagine bien que l'otage peut rapidement chercher à justifier l'action des ravisseurs en se disant que finalement ils doivent avoir de bonnes raisons pour en arriver là, que peut-être la société n'a pas su les écouter ; l'acte finissant parfois par être légitimé par les victimes (12).
Pendant cette phase de séquestration, à l'extérieur, les choses évoluent : arrivée sur les lieux des forces de police, des négociateurs, de la presse, toute une infrastructure qui va modifier la dualité ravisseurs-otages en une relation complexe triangulaire négociateurs-ravisseurs-otages dont les médias feront l'écho pour le reste de la société.
Moment critique de cette deuxième phase, la tension peut remonter rapidement au cours des discussions si le ou les malfaiteurs ont l'impression de perdre la direction des opérations. Tout peut ici arriver, y compris le terme de la prise d'otages par l'exécution collective et le suicide final.
Les heures s'écoulant, si aucune complication de cet ordre ne survient, un nouveau phénomène apparaît : avec les repas, les discussions, les relations deviennent plus intimes, le ravisseur a le temps d'essayer de se justifier auprès de ceux qu'il retient et petit à petit ceux-ci se rendent compte que le ou les preneurs d'otages sont à leur tour otages de l'extérieur et qu'ils partagent donc tous le même sort. A cet instant crucial de l'adaptation, les victimes se sentent abandonnées du reste du monde, manipulées par l'autorité "qui pourrait tout arranger si elle acceptait les revendications qui sont finalement légitimes ..." (13).
Troisième phase : Libération
Suivant notre courbe d'intensité du stress en fonction du temps, nous constatons au moment de la libération, une réascension importante, aussi bien chez les victimes que chez les agresseurs. Il s'agit là en effet d'un passage obligé crucial.
Quelles sont les différentes possibilités ?
· Rédition : la sortie se fait sans violence mais dans un état de tension nerveuse importante, ceci d'autant plus que la prise d'otage a été longue. Les ravisseurs sont en droit de craindre les réactions de la police malgré le dépôt des armes ; les otages voient s'évanouir tout ce qu'ils avaient eu tant de mal à construire jusque là : de nouvelles relations parfois amicales, un certain degré d'autarcie du groupe dans cette vie quotidienne étrange où tous dépendent de chacun un peu comme lors d'un naufrage sur un île déserte, un changement dans les valeurs profondes admises jusqu'à ce jour.
Il n'est pas exceptionnel de voir les otages sortir devant les ravisseurs pour les protéger, de leur corps, de tireurs d'élite trop nerveux !! (14, 15, 16).
· Assaut : on comprend sans difficulté pourquoi lors de l'attaque du lieu de détention par des commandos spécialisés (RAID en France ; SWAT aux USA) le niveau de stress est maximum. En dehors de la peur de mourir, il faut noter que l'on assiste parfois, à ce moment, à des réactions très paradoxales des otages : ils se lèvent alors que les policiers crient de rester
au sol ; ils vont même parfois jusqu'à les frapper violemment ne les voyant pas comme libérateurs mais comme des agresseurs contre le groupe qu'ils formaient jusque là. La tache policière est alors compliquée par le fait qu'il devient difficile de différencier les acteurs de cette tragédie, mettant un peu plus la vie des otages en danger.
· Suicide collectif : autre possibilité de fin, beaucoup plus tragique, avec la mort de tous les intervenants de la prise d'otages, phénomène notamment observé lors de l'affaire de la secte américaine où devant l'absence d'issue possible, cernés par le F.B.I, le leader du groupe a préféré entraîner tout le monde dans les flammes.
Rédition, assaut, ou suicide collectif, la libération du groupe restera toujours un instant particulièrement fragile, les efforts des négociations pouvant alors être réduits à néant.
Au total
L'analyse de la bibliographie permet de dire que quelque soit le nombre d'étapes d'adaptation envisagé, quelque soit le nom donné à ces étapes, on retrouve systématiquement la même configuration dans l'esprit de l'Homme soumis à un stress hors du commun (17).
Les premières minutes représentent pour le commun des mortels, c'est à dire les sujets non préparés à ce genre de situation par leur profession, l'apparition d'un sentiment nouveau : la perte de son invulnérabilité personnelle et la mise en présence de sa mort qui peut-être imminente. Il est impossible de savoir à l'avance ce que nous ferions dans cette hypothèse mais l'expérience prouve que les individus passent par un choc émotionnel très intense et, selon le contexte d'isolement ou non et la violence employée, les réactions peuvent variées. Attaque de panique, tentative de fuite, violences, prostration seront rencontrées. Dans la plupart des cas, incapable de réfléchir sainement, l'otage va se soumettre à toutes les exigences de ses geôliers. Le déni immédiat sera toujours temporairement présent.
L'esprit ne pouvant rester à un tel niveau de stimulation nociceptive, l'adaptation débute :
- soit le sommeil permet de poursuivre le déni de la situation en l'oubliant totalement, mais il ne pourra rester que temporaire.
· soit l'acceptation prend le dessus, point de départ de la recherche de nouveaux repères indispensables à une survie émotionnelle.
Initialement vécue comme ne pouvant être que temporaire, la situation peu à peu est appréhendée comme potentiellement durable avec phénomènes de ruminations, de culpabilité, doutes sur les valeurs admises jusque là. R.AUQUES (18) cite à cet égard l'exemple d'un sujet coréen qui a partager quelques temps sa cellule : "Je crois que si je suis détenu, c'est parce que j'ai dû faire quelque chose de mal dans une autre vie .Mon père disait que c'était possible. Et je crois que c'est ce qui m'arrive ..."
Plus loin, "Si j'avais mieux travaillé à l'Université, j'aurais obtenu un poste plus important. Je ne me serais peut-être pas retrouvé à Beyrouth. A cause de mes notes, on ne m'a pas laissé le choix ..."
Le temps passe, les contraintes de la vie quotidienne font leur apparition : pour manger, pour dormir, pour aller aux toilettes, pour parler, et bientôt même pour penser, les otages se rendent compte qu'ils dépendent entièrement de leurs ravisseurs. Retour à un stade précoce du développement infantile de l'esprit, l'angoisse va épisodiquement reprendre le dessus avec son cortège de signes dépressifs, parfois jusqu'aux tentatives de suicide.
Une porte peut s'ouvrir alors inconsciemment. " Etant de toutes façons soumis au bon vouloir des ravisseurs, si l'on franchit le pas qui nous sépare d'eux, que l'on admet leurs revendications, que l'on rejette ouvertement toutes nos anciennes croyances, nos conditions de vie ne pourront alors que devenir meilleures, nous serons enfin traités humainement par ces hommes qui finalement n'ont pas tout à fait tort. Après tout, cette société n'est pas parvenue à me défendre, elle ne mérite plus ma confiance ..."
Début du syndrome de Stockholm, ce comportement est soumis à des contraintes précises dont l'absence inhibe le déroulement .
Lors d'entretiens avec les victimes de prise d'otages terroristes, nous nous sommes rendus compte que le syndrome de Stockholm, ou comme le qualifie le Dr BIGOT "schème paradoxal de comportement" (2), ne peut faire son apparition si des violences ou de mauvaises conditions de détention sont décrites. En revanche dans le cadre d'attaque de banque où le personnel est déjà retenu dans un lieu connu, où la violence est plutôt redoutée si les forces de l'ordre interviennent, les otages seront plus enclins à développer des sentiments positifs envers les agresseurs et négatifs envers l'autorité.
Reprenons les termes de P.ROCHOT dans une interview accordée a "L'EXPRESS" pour comprendre ce qu'il a vécu au LIBAN : " Ils attendrons la nuit pour nous sortir, roulés en boule à l'arrière d'une camionnette . J'ai l'impression qu'on nous conduit vers un terrain vague ......pour nous exécuter ...Ils nous installent au fond d'un cagibi, les yeux bandés. On a seule ment le droit d'uriner dans une cruche. Tard dans la nuit, ils nous font monter dans un appartement ...un seul matelas de mousse pour quatre."
A l'opposé dans la prise d'otages du tribunal de NANTES par G.COURTOIS en 1985, les conditions de détention ne sont pas les mêmes. Le stress existe mais le malfaiteur essayera de détendre l'atmosphère : (19)
"Offrant des chewing-gum au président de la cour où l'invitant à se soulager contre le box des accusés, invitation que le magistrat ne tardera pas à suivre. Arrivant avec des bières en lançant aux otages :"Vous en trouverez des gangsters qui vous amènent à boire !". Ou pendant un moment de relâche il met la radio ...".
Tous les otages se souviendront de ce moment où pour ne pas "craquer" complètement, ils ont dû tenter de reconstruire à tout prix un environnement moins hostile même s'ils devaient pour cela en arriver à se rapprocher des ravisseurs. En plus de cette démarche éprouvante pour l'ego, leur vie quotidienne devait se ritualiser pour ne pas perdre le bénéfice du petit nombre de repères spatio-temporels qu'ils ont pu se créer.
Il est impressionnant de noter que même si l'occasion de s'enfuir leur est offerte, craignant de rompre le fragile équilibre établit avec les ravisseurs et parfois leur inconscient désirant être spectateur de l'issue des événements, les victimes ne parviennent pas à franchir le pas vers la liberté. Il apparaît plus sécurisant de rester que de s'enfuir ...
Citons les mots de R.AUQUES (18), magnifiquement repris par M.BAGDANI dans son film "HORS LA VIE" en 1991 (20) :
"... En plein élan, je m'immobilise d'un coup, comme pris de vertige. Les yeux écarquillés, la bouche ouverte, j'ai la tête qui tourne. Il se produit en moi une réaction que je n'avais pas prévue : six mois de captivité ont modifié mon comportement. Je crois avoir conservé une certaine assurance, mais en fait, elle n'existe que dans mes rêves. Pendant cet instant d'immobilité sur la terrasse, je perds pied, je panique complètement et ne sais plus ce que je dois faire, et ce qu'il faut faire. Le mur de séparation qui n'arrêterait pas un enfant, m'apparaît soudain à ma grande surprise comme une paroi infranchissable... Le conditionnement de la captivité reprend le dessus :j'ai envie de retourner dans ma chambre, parce que je m'y trouve davantage en sécurité que sur cette terrasse à l'air libre. Au lieu de franchir les deux pas qui me séparent de la liberté, je fais deux pas en arrière pour me retrouver dans la chambre des geôliers. Je m'arrête, parce que je me rends compte que je fais une folie. J'hésite malgré moi . J e me ressaisis et m'apprête à retourner sur la terrasse. Trop tard !..."
Outre le monde intérieur dans lequel se réfugie souvent l'otage (évocations de souvenirs heureux, activités intellectuelles basées sur la mémoire, etc ...), l'esprit a besoin d'un certain nombre de stimuli concrets pour ne pas sombrer dans un monde pire encore, à partir de phénomènes de déréalisation, celui des hallucinations qui parfois persisteront après la libération.
Un employé de banque rencontré pendant notre étude, ayant subi une séquestration particulièrement violente, a subi une hospitalisation d'office pour troubles psychotiques majeurs auto et hétéro-agressifs.
Deux auteurs, LANZA et SIEGEL, reconnus comme experts dans ce type de pathologie ont d'ailleurs publiés des articles à ce sujet (3,21). Sur un travail concernant 43 patients issus de détentions différentes (prisonnier de guerre, victimes de terrorisme, d'enlèvements crapuleux ), 25% ont subi des hallucinations pendant la captivité. Ayant pour thème des scènes de leur passé personnel, la reviviscence de rencontre avec des personnes de leur entourage ou plus simplement des hallucinations géométriques ou cénesthésiques, ces "perceptions sans objet" sont plus aisément rencontrées dans les séquestrations éprouvantes et ne semblent pas se soumettre à des facteurs de variation tels que l'âge, la personnalité des victimes ou la durée de la captivité.
Le devenir psychologique après la détention
Une corrélation positive existe entre une prise en charge précoce et le bien-être ultérieur. Il ressort des différentes études une stabilité du pourcentage des conséquences positives et une décroissance progressive du nombre des difficultés psychologiques à court et à long terme.
La stratégie de prévention des troubles psychiques immédiats ou différés après la libération repose sur la facilitation du besoin de verbalisation des implications affectives successives et parfois contradictoires de l'expérience traumatique, sur la réassurance et la déculpabilisation mais aussi sur l'information des séquelles psychiques éventuelles d'un tel acte (22) .
Après avoir occupé, consciemment ou non, les premières pages des journaux ou les titres principaux des éditions télévisées, l'otage, dans les jours qui suivent sa libération retrouve son anonymat, et "L'AFFAIRE" est peu à peu oubliée. Mais pour lui, beaucoup de choses ont pu se modifier, évoluer et la fin de la séquestration ne correspond pas systématiquement à une délivrance totale.
Selon OCHBERG (23,9), 25 à 50 % des otages connaîtraient à leur libération des troubles psychologiques plus ou moins important.
En conclusion de cette étude sur le devenir psychologique après la détention, nous pouvons dire, comme l'a souligné F.OCHBERG le premier (23), que les victimes de prises d'otages peuvent se classer en quatre groupes en fonction de leur évolution :
· Le premier qui semble psychologiquement atteint, et à long terme, par l'expérience vécue.
· Le second se divise lui-même en deux sous-groupes : dans les deux cas il existe des troubles psychopathologiques tels que nous les avons décrits, mais un des sous-groupe acceptera ou même demandera de l'aide à son retour, alors que l'autre la refusera, s'enfermant dans un isolement aggravant la situation.
· Le dernier, comme on l'a dit, présentera des réactions positives qui n'excluent d'ailleurs pas la possibilité d'apparition de quelques symptômes des névroses post-traumatiques.
Etude personnelle de l'adaptation aux prises d'otage
But de l'étude
Notre travail portera sur une enquête auprès de trente sujets, tous volontaires et informés des moyens mis en œuvre et des buts recherchés. L'objectif à atteindre comporte est double :
-Connaître le mode d'adaptation de ces otages à leur séquestration en fonction de sa typologie, et de leurs antécédents personnels psychologiques.
-Rechercher les difficultés psychologiques ou les apports positifs de cet événement à distance.
Matériel et méthode
La recherche des cas cliniques s'est effectuée entre février 1992 et août 1994 par plusieurs méthodes :
- Pour les otages dont le nom était connu de tout le monde, la prise de contact eu lieu par téléphone le plus souvent. Pour des raisons géographiques, il ne nous était en effet pas possible de nous déplacer à chaque fois pour pratiquer ces recherches.
- Pour d'autres, la rédaction en décembre 1993, d'une petite annonce dans OUEST-FRANCE nous fit accéder à une dizaine de personnes qui répondirent spontanément et rapidement.
- Parfois l'écoute régulière des informations à la radio ou la télévision nous donna la possibilité de recruter pour notre travail d'anciens otages qui participaient à des débats sur le sujet ; la presse quotidienne fournit également quelques cas avec lesquels nous pouvions par la suite prendre contact.
- Enfin, à plusieurs reprises, ce fut la rencontre avec des victimes qui, par jeux de relation et de contacts gardés avec d'anciens co-détenus, offrit de nouvelles opportunités.
Précisons que sur le nombre de personnes contactées, aucune ne refusa sa participation mais deux ne renvoyèrent jamais leur questionnaire.
Le choix des participants s'est réalisé d'une manière non sélective, la seule barrière étant la durée de la prise d'otages qui, selon la plupart des auteurs et experts déjà cités, doit dépasser six heures pour être considérée comme telle et non comme une agression, qui elle, sortirait de notre sujet.
Compte-tenu de ce mode de recrutement très large, la typologie des prises d'otages couvre pratiquement toutes les possibilités décrites plus haut en dehors des mutineries :
- Terrorisme politique et religieux ; enlèvement contre rançon.
- Hold-up et flagrants délits.
- Actes de malades mentaux.
Afin de pouvoir comparer le plus possible les réponses, et de permettre une étude statistique fiable et objective, un questionnaire semi-fermé de vingt-deux pages a été proposé à tout le monde, prenant en compte trois chapitres :
- Le premier concerne les antécédents familiaux et personnels du sujet d'un point de vue médical, physique et psychique, ses antécédents sociaux et comportementaux et ses niveaux d'adhésion aux systèmes de valeur régissant nos sociétés modernes.
- Le deuxième chapitre se rapporte à la description de la prise d'otages et à l'adaptation pendant celle-ci, ainsi que les changements apportés au moment de la libération.
- Le troisième et dernier chapitre du questionnaire concerne l'évolution depuis la fin de la prise d'otages jusqu'au moment de sa rédaction.
Résultats
Bien que l'échantillon de sujets soit relativement limité, 30 ex-otages en tout ont pu être contactés pendant la période de recherche, nous pouvons grâce au questionnaire standardisé, communiquer des résultats témoignant :
· des réactions psychologiques lors de la capture,
· des réactions pendant la détention avec les éventuelles phases d'adaptation,
· des réactions au moment de la libération et dans les mois ou années qui suivirent celle-ci ,
· des symptômes survenus depuis la libération,
· de l'utilisation du système de santé et des demandes de réparation,
· de plus, nous étudierons l'apparition de conséquences positives et quels en sont les facteurs favorisants,
Mais dans un premier temps, par la synthèse des réponses aux questionnaires, nous allons brosser le portrait de ces victimes en prenant en compte leurs antécédents personnels et familiaux avant leur séquestration.
Qui sont les otages de cette étude ?
· Situation familiale : 19 hommes pour 11 femmes, âgés de 35 à 52 ans, ils sont mariés pour 18 d'entre eux alors que 7 sont célibataires et 5 vivent en union libre. Ceux qui ont des enfants, ils sont 21, en ont de 1 à 3, et sont tous issus de famille comportant 2 à 9 collatéraux. Leurs parents sont vivants pour 25 d'entre eux.
18 se confient volontiers à un proche (parent ou ami) pour parler de leurs problèmes personnels, les relations conjugales étant très bonnes pour 13, bonnes pour 10 et plutôt bonnes pour 7 couples.
· Armée : 17 hommes ont effectué leur service militaire (9 à l'étranger), 7 ont apprécié cette vie en collectivité, 5 n'ont pas éprouvé de difficultés à se soumettre aux ordres pour les activités militaires. 9 ont d'ailleurs conservé des relations durables et 10 ont tout de même retiré un bénéfice de ces obligations militaires, soit un enrichissement personnel au contact des populations locales, soit l'apprentissage de la vie en collectivité, soit un gain d'autonomie dans un milieu hostile !
· Activité professionnelle : Exerçant à l'unanimité des professions du tertiaire (employé de banque et journaliste-reporter sont les plus représentés) avec un niveau variant entre BEP et troisième cycle d'études supérieures, ils se sentent à 23 comblés par leur travail.
· Religion : 21 sont de confession catholique, 9 sont athées.
· Croyances en d'autres valeurs : Politique 14 sujets
Humaines 18 "
Sociales 9 "
Philosophiques 9 "
ces valeurs apportent un soutien moral 14 personnes.
· Temps libres : en famille, à l'hôtel ou en appartement pour 18 ; 7 préfèrent les vacances avec des amis et 5 seul. Les activités sont relationnelles et sportives pour 19, culturelles pour seulement 9.
· Antécédents médicaux :
=> physiques : nuls pour 20
=> psychiques : 8 ont déjà été traité pour syndrome dépressif, angoisse, ou troubles suite à un première agression, ceci pendant une durée de 6 mois (post-agression) à 5 ans (dépression). Aucun n'était en cours de traitement au moment des faits.
En revanche, 5 avaient déjà subi un traumatisme psychique important : agression, guerre ou accident .
Les troubles rencontrés avant la prise d'otages comportaient :
- troubles du sommeil ponctuels : 2
- fatigue fréquente : 5
- bouche sèche, instabilité nerveuse, spasmophilie, froideur des extrémités et mouvements involontaires : 2
· Niveau d'adhésion aux valeurs actuelles : (échelle de 1 à 9)
Politique : coté de 2 à 8 ; moyenne 5,36
Patriotique : " " 3 à 9 ; " 6,63
Social : " " 4 à 9 ; " 6,09
Religieux : " " 1 à 9 ; " 4,09
Policier : " " 1 à 6 ; " 4,09
Judiciaire : " " 1 à 8 ; " 5,00
Médiatique: " " 2 à 7 ; " 4,36
Comment ont-ils vécu la prise d'otages ?
1- au moment initial.
L'expérience douloureuse s'est déroulée selon les cas entre 1975 et 1993, la durée varie entre six heures et plusieurs mois, la nature est politique pour 14, dans les suites d'un hold-up pour 13, 2 sont dues à un malade mental et 1 seul a été enlevé pour une rançon. La raison de la présence du sujet sur les lieux est l'activité professionnelle dans 69,3% des cas, le hasard 8% et les loisirs pour 22,7%.
Les violences rencontrées sont physiques et psychiques avec menaces par armes à feu ou explosifs, coups de crosse, coups de feu tirés en l'air, menaces de mort sur les enfants.
La cotation du choc émotionnel sur une échelle graduée de 1 à 9 s'échelonne entre un minimum de cinq et un maximum de neuf, qui revient à 18 reprises pour une moyenne globale de 7,61. Notons que les chiffres les plus bas ne sont pas forcément obtenus par des professions supposées à risques puisque certains grands reporters ont côté à 8 ou 9, alors que des professeurs de faculté estimèrent leur choc à seulement 5. En revanche, un nombre important d'employés de banque qui s'attendent tous à un hold-up, au moins une fois dans leur carrière, répondent par un 9, témoignant ainsi de l'agressivité ressentie devant des malfaiteurs non préparés à cette éventualité de fuite impossible et qui sont obligés d'improviser leur comportement.
Les idées qui viennent principalement à l'esprit lors de la première menace sont :
- "C'est un cauchemar !"
- "Cela n'arrive qu'aux autres !"
- "Cela devait m'arriver !"
Comme réaction initiale nous trouvons : · La sidération 16 cas
· Les cris et l'agitation 7
· La tentative de fuite 3
· Les troubles physiques 2
· Le calme de la fatalité 2
Les ravisseurs ont clairement expliqué les motifs de leur action pour 21 victimes.
16 otages ne s'avouaient pas préparés à ce type d'événement alors que 12 avaient déjà fondé une réflexion personnelle basée sur l'expérience d'autrui ; 2 s'estimaient préparés de par leur profession et les enseignements subis.
2- pendant la détention
Parmi les conditions de détention, il faut noter que si elles sont généralement acceptables, voire bonnes dans les prises d'otages de banque, la situation est diamétralement opposée dans le cas de terrorisme politique : en effet, si les otages sont plus libres d'un nombre limité de mouvements à l'intérieur de leur cellule, la présence fréquente de chaînes et le manque d'hygiène corporelle et alimentaire, qu'il faut "gagner", rendent la situation très pénible. De plus, ils ont pratiquement tous connu, à un moment ou à un autre, des privations sensorielles par absence complète de bruit ou de lumière.
Poursuivant dans ce type de séquestrations, les victimes ont toutes subi des transferts entre une à huit reprises, dans d'acceptables (6 cas) ou mauvaises (8 cas) conditions, alors que 9 adhéraient à un moment quelconque aux thèses qui leur étaient expliquées.
Nous devons remarquer que, contre toutes attentes, un otage de banque avoue avoir extrêmement redouté l'intervention des forces extérieures alors même qu'il avait été blessé par les ravisseurs et choisi comme le premier qui serait abattu. Subissant, selon ses dires, des sentiments positifs envers les agresseurs, ces effets n'ont pas été rémanents après la libération mais au contraire, il a connu des troubles psychiques importants avec syndrome dépressif, impossibilité de sortir seul de chez lui pendant plusieurs semaines et difficultés à fréquenter certains lieux (banque notamment).
18 otages se sont sentis privés de toutes décisions les concernant mais, 14 pensaient que la situation serait brève. Les valeurs morales, religieuses, sociales et politiques furent souvent remises en cause et ne participèrent que peu au soutien psychologique des victimes.
Des réminiscences de moments agréables de la vie antérieure sont perçus pour 17 cas et la cotation du niveau de réalité varie entre 2 et 9 avec une moyenne de 5,5 ; les sens de l'ouïe et de la vision ont été exacerbés chez seulement quatre personnes sur les trente.
Nous avons enregistré 12 tentatives de fuite par la pensée (projet non mis à exécution) et 9 dans la réalité mais toutes soumises à l'échec. Si les occupations essentielles au cours de la journée étaient intellectuelles, méditatives ou d'intendance, 19 ont eu des réactions agressives, mais uniquement verbales, envers leurs geôliers. Des contacts amicaux, discussion, jeux, sont retrouvés chez 12 personnes.
Parmi les réactions propres à chaque individu, on note :
- aucune tentative de suicide,
- des désirs de mort chez 16 sujets,
- des crises de larmes chez 12 sujets,
- des crises d'agitation chez 17 sujets,
- des sensations d'abandon chez 21 sujets,
le plus souvent après quelques jours de détention.
Les troubles physiques et psychiques les plus fréquents sont : les troubles du sommeil à type d'insomnie ou/et d'hypersomnie, les sursauts exagérés, la peur de mourir, les troubles du transit (nausées, vomissements, diarrhées, spasmes intestinaux) surtout au début, le manque de concentration et l'impossibilité de tenir en place (akatisie). Il n'y a pas eu de désorientation temporo-spatiale sauf bien sûr si les agresseurs ne renseignaient pas leur victime sur leur situation (particulièrement pour les otages du Liban).
16 participants à notre enquête ont redouté l'intervention extérieure de la police ou de l'armée et 19 pensaient que le danger viendrait plus de l'extérieur que des ravisseurs.
3- à la libération
Lors des libérations, on ne constate que 6 assauts des forces de sécurité, 21 sont le fait des ravisseurs après reddition et 3 après leur fuite réussie. Trois des otages ont été blessés, quatre malfaiteurs abattus. Ils ont décrit (11 cas) une augmentation de leur niveau d'angoisse allant jusqu'à la sidération complète (3 cas).
L'intensité du soutien apporté par l'extérieur après la libération est la suivante :
- par les autorités, réponses de 1 à 9, moyenne : 5,72
· par le corps médical, réponses de 1 à 9, moyenne : 5,27
· par les médias, réponses de 1 à 9, moyenne : 4,3
· par les proches, réponses de 5 à 9, moyenne : 7,5
Les souhaits des victimes sont à cet instant :
=> une prise en charge accrue par :
· les autorités (démarches d'indemnisation) : 7 cas
· le corps médical (pour parler surtout) : 15 cas
· les proches (pour parler) : 4 cas
=> une remise à jour sur les événements ratés pendant leur séquestration : 26 cas
=> une envie d'écrire pour se libérer l'esprit: 5 cas
=> une envie irrépressible de parler de ce qui s'est passé : 19 cas
Les symptômes les plus souvent rencontrés dans les premiers temps de la libération : le manque de concentration arrive largement en tête avec 14 sujets puis les troubles du sommeils pour 11, les troubles de l'humeur pour 3 et les sursauts pour 2.
Des changements immédiats dans la vie sont apparus :
· au niveau social : 5
· au niveau familial : 7
· au niveau professionnel : 12
· au niveau personnel : 12
· au niveau amical : 14
Un otage a décidé de faire construire la maison qu'il imaginait pour s'occuper l'esprit, un autre continuait à se croire otage malgré tous les efforts de son entourage. On se rend compte que toutes les réactions peuvent se voir dans les suites immédiates qu'elles soient ou non constructives, chacun réagissant selon son propre caractère et ce que l'épisode a modifié en lui.
Certains ont décidé de garder des contacts avec leurs compagnons d'infortune, avec les membres de la police et pour trois avec les ravisseurs.
Que deviennent-ils à distance ?
- 7 se sentent différents.
· 5 ont changé de métier par volonté ou par nécessité d'adaptation à une nouvelle vie.
· Certains auraient souhaité pouvoir continuer d'en parler avec un professionnel de santé mental spécialisé dans ces problèmes mais indépendant des autorités françaises.
- Si des sentiments de culpabilité d'avoir été pris en otage existaient, ils disparaissent avec le temps.
· Les échelles d'angoisse sont les suivantes : (propositions de 1 à 9)
=> à l'idée de sortir, cotée de 1 à 4, moyenne 2,3
=> à l'idée de voir du monde de 1 à 5, moyenne 2,6
=> face aux grands espaces de 1 à 5, moyenne 2,6
=> face aux lieux confinés de 1 à 9, moyenne 4,9
Deux otages ont rajouté leur proposition personnelle :
=> dormir dans la même chambre que lors de la prise d'otages, côté à 10
=> habiter dans un logement de fonction, côté à 9
Les situations de la vie quotidienne redoutées sont celles qui rappellent l'événement (rentrer dans une banque par exemple) ou celles qui mettent en présence des scènes de violences physiques.
Le délai d'apparition de ces manifestations varie entre quelques semaines après la libération et cinq ans ; l'adaptation au stress est globalement restée stationnaire, mais face à des excès de charge émotionnelle, les réactions sont considérées comme exagérées par 14 patients avec agitation, fuite, accès de violence, attaque de panique, et réactions dépressives.
Ils se posent des questions : - sur la vie : 20
- sur la mort : 16
- sur la peur : 16
Il n'a pas été retrouvé de signe de névrose obsessionnelle.
Si 12 sont plus sensibles aux critiques, 9 ressentent un besoin accru d'être aimé.
Les souvenirs de l'épisode (flash-back) se présentent :
· spontanément : 16
· par association d'idées : 18
· volontairement : 12
· à l'écoute des médias : 16
· dans des situations particulières (clients suspects, rencontre avec des ex-otages) : 12
· aux dates anniversaires : 9
Les difficultés de concentration disparaissent avec le temps, les victimes reprennent progressivement espoir en l'avenir, mais en revanche elles gardent à l'esprit l'idée que leur entourage proche ou professionnel ne pourra jamais vraiment comprendre ce qu'elles ont vécu et que seul un autre otage le peut : 21.
Les moyennes sur l'échelle de valeurs des croyances ne sont que discrètement diminuées par rapport à la première estimation, la différence n'étant pas statistiquement significative.
Par contre, de nouveaux contacts ont été pris avec psychiatres et psychologues par 11 otages et 13 ont connu des arrêts de travail directement liés à la prise d'otages soit immédiatement à la libération soit seulement trois mois plus tard à l'occasion d'un accès dépressif retardé.
14 gardent de mauvaises visions des ravisseurs, 7 une plutôt bonnes et 9 n'en gardent aucune.
4 ont fait des demandes d'indemnisations financières qui n'ont d'ailleurs pas abouti à l'exception d'un otage qui a touché une somme de sa société à titre de dédommagement.
Pour finir cette étude statistique, un ex-otage a depuis subi une autre expérience traumatique avec menace de mort et séquestration dans sa banque.
12 ont vécu cette participation à notre étude dans l'indifférence, 14 l'ont apprécié car elle leur permettait d'en parler librement (anonymement et sans risque d'utilisation médiatique), 4 l'ont trouvé éprouvante car elle ravivait des souvenirs désagréables.
Discussion
Nous allons au cours de cette discussion nous pencher sur deux pôles de l'adaptation psychologique aux prises d'otages. Le premier concerne les résultats de notre étude qui concordent avec ceux des études réalisées par d'autres auteurs déjà cités, le second s'intéresse à toutes les différences que nous avons pu noter.
Tout d'abord, il est évident que le choc initial est, dans la grande majorité des cas, très intense. On retrouve des réactions de sidération physique et psychique si puissantes qu'elles parviennent à inhiber toutes possibilités de fuite même dans des circonstances où celle-ci serait réalisable, au moins dans les premières secondes ou minutes. Ceci est particulièrement vrai dans les attaques de banque qui tournent mal car le niveau de violence exprimée, par les ravisseurs non préparés à cette éventualité, est nettement supérieur à celui de terroristes qui ont mûri leur action dans le détail. Nous pouvons noter qu'aucun de nos sujets n'a eu de réactions violentes envers les attaquants, comme des tentatives pour les maîtriser, ce qui nous paraît un point crucial pour limiter les risques de représailles.
Au début de la captivité, un pourcentage élevé de victimes pensait que la situation ne serait que temporaire et qu'elles pouvaient au départ compter sur les autorités pour les sortir de ce piège. Puis, par la suite, elles suivent le schéma habituel qui veut que la confiance diminue petit à petit envers le monde extérieur au profit des ravisseurs qui sont finalement les seuls garants possibles de leur sécurité. Il existe un décalage dans le temps car l'esprit humain demande un certain temps pour intégrer l'effondrement du mythe personnel d'invincibilité et pour admettre l'abandon du groupe social habituellement protecteur.
Si l'on se penche sur les réponses fournies au sujet des croyances personnelles de chacun, on peut se rendre compte que 21 sujets s'affirment de confession catholique, 14 nous disent avoir trouvé un soutien moral pendant la détention dans leurs convictions et pourtant sur l'échelle de cotation des valeurs, la moyenne pour la religion n'était, avant l'événement, que de 4,09 sur un maximum possible de 9. L'approche potentiel de la mort pourrait entraîner pas chez nous, humains, un regain mystique.
Quelques unes de nos victimes avaient déjà eu l'occasion de subir des traumatismes psychiques important, accident, guerre ou agression, mais les réponses lors de l'entretien ne furent pas sensiblement différentes de celles des ex-otages pour qui c'était la première expérience. Nous pensons que malheureusement, si la peur de la mort existe dans un esprit, sa proximité ne joue pas de rôle immunisant face à une nouvelle exposition ; seule une démarche intellectuelle "à froid" et un entraînement régulier, comme on peut le voir dans certaines professions qui côtoient la mort quotidiennement, pourraient éventuellement modifier ces troubles. Tout ceci n'est valable que dans nos civilisations judéo-chrétiennes puisque dans d'autres religions (bouddhisme, hindouisme), la mort ne correspond qu'à une étape vers le progrès de l'esprit.
Les conditions de détention varient sensiblement entre les prises d'otages politiques et les autres formes. Dans le premier cas on l'a vu, les terroristes sont particulièrement formés, et le but recherché est la déshumanisation rapide de la victime. Les méthodes sont très nombreuses : attribution d'un nouveau prénom, suppression de tous les objets personnels y compris les vêtements, isolement sensoriel phonique et visuel, contention physique, transferts fréquents d'un lieu de détention à l'autre. Par ses méthodes, ils recherchent la soumission rapide et l'exacerbation des souffrances morales, point de départ de la modification des valeurs profondes de chacun. Il faut exclure les violences physiques qui sont un obstacle constant à l'apparition de l'adhésion des victimes aux thèses de leur ravisseur. Quelle victoire en effet pour une organisation terroriste de transformer, à long terme, un opposant en un porte-parole de leur cause.
Dans les prises d'otages de droit commun, les conditions de détention sont plus favorables sur le plan matériel (nourriture et boisson fournies par l'extérieur, cadre moins austère, isolement moins fréquent), mais en revanche, des relations humaines rassurantes sont plus difficiles à établir avec les ravisseurs qui ne pensent qu'à assurer leur propre protection à n'importe quel prix.
Parmi les symptômes ressentis pendant la captivité, les troubles dépressifs avec crises de larmes, perte de l'élan vital, insomnie sont supérieurs à tous les autres quelques soient les conditions de vie. Ils coïncident avec les faux espoirs de libération, les transferts pour les prisonniers politiques, et pour certains avec les phases de réminiscence d'événements passés heureux.
Notons chez un de nos sujet la prépondérance des signes physiques avec crises de tétanie, asthme, sur un terrain certes prédisposé, mais dont la surprise fût totale lors de son enlèvement car il était particulièrement bien intégré au Liban, et affichait officiellement des idées proches de l'idéologie des ravisseurs , sans partager bien sûr leurs idées sur les méthodes à employer pour la mettre en œuvre . La fragilité physique l'emportait chez cet homme qui, habitué de part sa profession à la communication et la réflexion, est resté en permanence lucide spirituellement, et a tenté tout au long de sa captivité de changer en sa faveur le cours des événements et à sans cesse remis en cause ses croyances antérieures. Inconsciemment, l'organisme préférait sauvegarder l'esprit et ses capacités sur le corps qui, de toutes façons, n'aurait pu permettre l'évasion.
Le sentiment d'abandon, alors que la durée et les conditions de détention différaient, semble dans la grande majorité des cas, rester la préoccupation principale des otages. Comme on l'a étudié dans la bibliographie, les modalités d'adaptation offertes en situation de stress extrême, sont toutes utilisées par les victimes. Créations de sentiments positifs paradoxaux envers les ravisseurs et négatifs envers l'extérieur dont l'intervention potentielle est particulièrement redoutée. Ceci est surtout vrai dans la mesure où les relations verbales et visuelles ont été fréquentes avec les geôliers, et si leur personnalité est à tendance séductrice paranoïaque.
Si l'on se contente des résultats bruts à un test écrit, le pourcentage de schème paradoxal du comportement sera sous-estimé car les otages se défendent, consciemment ou non, d'avoir développé de tels sentiments et encore plus de leurs effets rémanents à distance de la captivité. Ce n'est que lors d'entretiens sans contraintes que nous avons senti l'émergence de tels phénomènes chez certains. La peur du rejet par la société explique ces réactions de défense.
Les occupations quotidiennes privilégiées, en dehors de la toilette et des repas qui constituent un des rares liens avec leur habitude de vie d'homme libre, sont représentées par l'introspection des victimes, selon leurs propres termes "nous allumions notre télévision intérieure". Elles laissaient leur corps dans la cellule et partaient hanter des lieux et des instants heureux de leur passé.
Dans les séquestrations de groupe, l'échange ultérieur des ces scénarios prolongeait ces instants de divertissement, chacun finissant par s'approprier un peu de la vie des autres.
Pour en terminer sur les points communs avec les études précédentes, concernant l'adaptation pendant la séquestration, la ritualisation quasi obsessionnelle des activités dans le temps permettait de garder des repères temporels difficilement contrôlables autrement (absence de montre). Ils adoptaient donc des moments précis pour l'exercice physique, la méditation, les discussions. Pour ceux qui étaient isolés, les fourmis et insectes sur le sol de la cellule devenaient les seuls interlocuteurs possibles, avec qui ils parvenaient même à partager leur nourriture pour être sûr de les revoir dans les jours suivants.
Par opposition aux auteurs, nous avons constaté dans notre étude que :
· Aucun des détenus du Liban n'a à un moment quelconque envisagé de se suicider. Même si parfois le désir de mort survenait, celui-ci restait bref et surtout elle n'aurait été acceptée que venant des terroristes, non sous forme d'autolyse. A distance, on se rend compte que ces otages n'ont installé aucune barrière autour d'eux pour rester à l'abri d'études comme la nôtre. Ceux qui avaient participé il y a quelques années à d'autres questionnaires, et qui avouaient avoir pensé au suicide pendant leur captivité, se sont maintenant protégés de rencontres concernant ce sujet. Nous pouvons alors envisager l'existence d'une personnalité plus forte à intégrer ce stress inhabituel chez les otages "libanais" de notre travail par rapport à ceux des enquêtes précédentes. Des tests sur l'appréhension du "Moi" par l'individu seraient intéressants à comparer mais pour des raisons évidentes cela n'a pu être fait pour ce travail.
L'un d'entre eux se pose une question demeurée sans réponse : "Je me suis rendu compte que je devenais capable et désireux de tuer mes ravisseurs, l'aurais-je fais si on m'en avait donné l'occasion ?"
· Contrairement au travail de T.BIGOT (22) où le sentiment de danger ressenti pendant la détention était plus important chez les otages du Liban que chez ceux de Nantes, dans notre étude, les victimes de séquestration lors d'attaque de banque ont plus souffert d'un sentiment d'insécurité car une fois de plus la violence perçue était nettement supérieure dans ce type d'affaire. L'improvisation et la nervosité des malfaiteurs se voyaient nettement, certains otages ont d'ailleurs été violemment frappés sans raison, juste par des hommes excédés, et beaucoup ont ressenti que les doigts se crispaient facilement sur la détente.
En ce qui concerne les sentiments au moment de la libération, nous avons constaté lors du dépouillement de notre questionnaire un déni important des troubles ressentis à cet instant, surtout en ce qui concerne les symptômes de dépression, de confusion et de déréalisation. Sans mettre en doute l'honnêteté des réponses, nous pensons que le temps efface ces souvenirs désagréables puisque l'intensité de tels troubles est inversement proportionnelle à la distance qui sépare l'otage de sa détention.
Par contre, et à l'unanimité, le désir de verbalisation est très intense mais dans des conditions particulières selon les sujets.
Selon les chiffres du Dr BIGOT, 64,3% expriment le désir d'un verbalisation immédiate mais seulement 14,3% estiment avoir pu faire part de leur expérience et de leurs difficultés à un médecin.
Dans le même registre, un otage qui fut capturé à l'étranger en compagnie de sujets d'une ambassade française nous a déclaré que seuls les membres du corps diplomatique furent pris en charge psychologiquement à la libération par des médecins militaires. Le groupe de civils auquel il appartenait ne fut interrogé que sur les conditions de détention et les thèmes pouvant par la suite être utiles à la DGSE.
Il est primordial de constater que même si les symptômes pathologiques, retrouvés lors de la libération ou après un temps de latence variant de quelques jours à plusieurs mois, tendent à se raréfier au fil des années, il reste une empreinte que nous qualifierons d'indélébile de l'événement qui réapparaît pour des stimulations variables selon chacun.
Si l'évocation directe projette facilement les ex-otages en situation et leur redonne souvent une frénétique envie d'en parler, d'autres stimuli parviennent au même résultat :
=> Rêves ou cauchemars
=> Vision de scènes de violences
=> Audition de coups de freins brutaux pour ceux du Liban
=> Toutes circonstances augmentant la tension intérieure
=> Irritabilité qui d'ailleurs est plus fréquente qu'avant
Tous ces symptômes font partie intégrante selon le DSM IV du syndrome de stress post-traumatique et particulièrement du syndrome de répétition, noyau central de la névrose traumatique .
Mais où se situe le traumatisme d'une prise d'otage ?
Selon le Pr BARROIS, "le traumatisme, c'est la confrontation directe avec sa propre mort ou celle de l'alter ego " . On peut en effet se rendre compte, à l'audition des entretiens avec les ex-otages, qu'aucun ne développe de sentiments appartenant au PTSD avant la libération quelque soit la durée de la détention.
On peut donc en déduire qu'ils passent par un premier stade traumatique lors de la capture, lorsque le sentiment de mort imminente est brutalement perçu, puis la séquestration par elle-même correspond plutôt à une phase d'adaptation au stress pendant laquelle les otages s'organisent "intérieurement" pour survivre du mieux possible et de la façon la plus économique pour le "MOI" et le "SURMOI". Ensuite, lors de la libération, survient le second traumatisme puisque la mort peut à nouveau surgir (pendant l'assaut de la police, ou lorsque ils se posent la question de savoir si les ravisseurs vont laisser des témoins derrière eux). Nous comprenons alors les sentiments de confusion ou de déréalisation comme cet otage qui a persisté à se croire prisonnier pendant plus de 24 heures.
Lorsque arrivent les retrouvailles avec l'entourage, les ex-otages sont souvent déçus car ils ne parviennent pas à se sentir compris et désirent souvent reformer le groupe avec lequel ils étaient captifs : autres otages et parfois même ravisseurs à qui ils rendent visite en prison ou avec lesquels ils cherchent à garder des contacts (cas de plusieurs otages du Liban et de Turquie dans notre étude).
Un autre facteur diverge de la bibliographie, il concerne l'intensité et la fréquence des troubles somatiques perçus. Dans notre questionnaire, il n'a pas été souvent noté d'augmentation ou d'apparition de symptômes par rapport à la même question posée avant la prise d'otages. Cette différence peut à notre avis s'expliquer par une plus grande intériorisation mentale de l'expérience chez nos sujets qui se sont intéressés à d'autres exemples du passé pour prévenir l'apparition d'une somatisation des troubles et ne pas verser sur le versant hystérique des PTSD.
Pour terminer, il convient d'aborder l'aspect des conséquences positives relatées par 50 % des individus.
Elles portent essentiellement sur une vision plus réaliste et plus relativiste des problèmes de la vie quotidienne et sur un optimisme plus exacerbé rendant les contacts humains, avec ces sujets, d'une richesse exceptionnelle. Il ne faut pas oublier que l'ouverture d'esprit qu'ils ont parfois ressenti au contact des minorités rebelles, leur a apporté beaucoup de tolérance et de capacité d'écoute, qu'elle soit considérée comme paradoxale ou non, et en sachant qu'ils réprouvent à l'unanimité les moyens employés.
Un fait troublant nous impressionna : 14 sujets interrogés, surtout dans le cadre du terrorisme politique (journalistes, enseignants), n'avaient pas hésité soit à retourner sur les lieux même de leur capture passant outre tous les conseils donnés fussent-ils de personnes proches des terroristes ; soit pour les journalistes à se porter volontaires au bout d'un certain temps pour des enquêtes dans des pays en conflit armé. On pourrait faire une étude, pour chercher si, à l'instar des sportifs qui au bord de l'épuisement fabriquent des endorphines, le stress au cours des prises d'otages ou en situation de mort imminente ne provoquerait pas, par un mécanisme identique, le besoin irrépressible de "RECOMMENCER"...
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